Numérique / Territoires

3. Actions - Panorama des actions des collectivités françaises Septembre 2005

Martial GABILLARD, président de l'Avicca

Vice-président de Rennes métropole

Panorama des actions des collectivités françaises

Merci au Sénat, notre assemblée, en quelque sorte, celle des collectivités territoriales ; merci à nos amis sénateurs qui ont permis cette réunion. Ils sont en même temps notre fer de lance au sein de l'assemblée parlementaire, de façon à ce qu'un certain nombre de décisions qui ont été rappelées aient pu être prises. Merci à la Caisse des dépôts, qui apporte à nouveau son soutien à notre manifestation. C'est notre partenaire traditionnel, national, mais également local, sur le terrain, où il a été dit tout à l'heure que vous saviez apporter toute votre compétence technique, financière et conceptuelle. D'autre part, merci à vous toutes et à vous tous, élus locaux, départementaux, régionaux, chargés de mission TIC ou de développement économique, responsables de réseaux au sein des collectivités, cabinets-conseil, opérateurs, etc., partenaires des collectivités.

L'intervention des collectivités dans les réseaux de communication électronique a longtemps fait l'objet d'un débat, provoqué par la revendication des collectivités territoriales, que notre association, l'Avicca a soutenue, voire suscitée. Ce débat a été tranché. Nous sommes désormais dans l'action, dans la réalisation. Ces actions et ces nombreux projets s'inscrivent dorénavant dans la durée. L'accès aux réseaux et aux services de communication électronique n'est pas un problème ponctuel, un retard ou un futur retard. C'est une dimension permanente de l'aménagement durable de notre territoire, une préoccupation généralisée, légitimée politiquement, économiquement et administrativement.

Notre association intervient dans le domaine des réseaux depuis 1986 - j'ai l'impression d'être un ancien combattant. Une antériorité reconnue dans le câble, d'abord, et, depuis 1999, sur les réseaux ouverts aux opérateurs, sous l'impulsion, notamment, de tous ceux qui m'entourent ici, c'est-à-dire de Nancy, du Sipperec et du Tarn. Notre travail a été juridique et politique. Place aujourd'hui aux retours d'expérience et à la mutualisation : c'est ce que développeront mes collègues au cours de cette journée.

Auparavant, je voudrais dresser un rapide panorama des actions locales. Elles sont diffuses, échelonnées dans le temps, aussi est-il important de leur donner la visibilité globale qu'elles méritent, afin d'être prises en considération à leur juste niveau par les acteurs nationaux publics et privés. Je vais faire ce panorama en réponse à cinq questions :

  1. quel déploiement aujourd'hui, au 23 septembre 2005 ?
  2. quel rôle et quelle articulation entre les différentes collectivités territoriales concernées ?
  3. quels montages, avec quels partenaires ?
  4. quel impact ?
  5. jusqu'où aller ?

1) Quel déploiement aujourd'hui, au 23 septembre 2005 ?

29 réseaux qui sont déjà ouverts, en tout ou partie. En orange, ce sont les réseaux de grande envergure, en mauve, plutôt des réseaux d'agglomération. 15 marchés sont attribués. 18 procédures sont lancées : en bleu, pour des réseaux de grande envergure, en vert pour des réseaux d'agglomération.

62 réseaux d'initiative publique qui ont fait l'objet d'une décision effective de la part des collectivités. Pour apprécier la couverture territoriale, 32 départements sont impliqués. C'est dire l'importance de la couverture territoriale sur la carte nationale. À cela nous pouvons ajouter les projets qui sont en discussion : ceux du Conseil régional d'Aquitaine, de la Drôme, de l'Ardèche, dont le Président TESTON nous dira quelques mots tout à l'heure. Le mouvement n'est donc pas terminé. Et souvent, derrière un réseau départemental se trouve un réseau d'agglomération qui, par capillarité, se développe.

Les investissements engagés grâce à ces financements croisés, publics et privés, sont considérables. Selon un pointage fait par la CDC, sur lequel elle reviendra, nous dépassons 1,1 milliard d'euros, pour les réseaux établis ou lancés en délégation de service public, auxquels il faut ajouter les réseaux câblés directement par les collectivités ou des Sem, soit environ 100 millions supplémentaires. Ce sont donc 1,2 milliard d'euros qui sont désormais investis dans ce développement territorial.

Nous sommes donc passés de l'ère des pionniers, à celle de l'intervention significative d'un grand nombre de collectivités. L'établissement de réseaux ouverts pourrait devenir une forme d'intervention majoritaire dans les prochaines années si ce mouvement actuel se perpétue. C'est un véritable mouvement national, né, de façon assez typique, du territoire. Dans ce domaine, nous sommes vraiment passés à l'étape de la décentralisation. Cela a surgi d'une préoccupation locale. Il ne s'agit pas simplement de décisions. Ce sont de multiples interrogations, de multiples débats qui ont saisi nos différentes assemblées à quelque niveau que ce soit. Il faut bien prendre conscience de l'importance du mouvement. Le nombreux auditoire d'aujourd'hui en témoigne.

2) Quel rôle, quelle articulation entre les différentes collectivités ?

Nous pouvions avoir certaines appréhensions ou inquiétudes au départ, puisqu'il s'agit à notre demande d'une compétence partagée et non obligatoire, sans chef de file désigné a priori. En effet, nous avions souhaité ne pas imposer un chef de file pour laisser la liberté d'initiative se faire localement, pour refuser la modélisation. Nous avons bien fait. C'était risqué, car cela pouvait entraîner une certaine attente des uns et des autres, voire une certaine absence de cohérence entre les différents projets. Ce ne fut pas le cas, ce qui démontre bien la capacité des collectivités à s'organiser.

Quelles sont les collectivités aujourd'hui impliquées ?

  • 5 Régions agissent directement sur ce type de réseaux. 1 agit en syndicat mixte, 4 appuient financièrement les créations de réseaux par les collectivités. Cela veut dire que 10 Régions sont désormais concernées par ce mouvement, que 10 Régions ont déjà délibéré d'une façon ou d'une autre ;
  • 23 Départements agissent directement ou dans un syndicat mixte ;
  • 35 agglomérations agissent directement, et plusieurs dizaines dans le cadre de syndicats mixtes.

Les formes de coopérations sont forcément multiples : soit structurelles, comme je l'ai signalé, dans le cadre de syndicats mixtes, soit financières ou techniques, notamment grâce à des schémas régionaux. Cela dit, il ne faut pas oublier que des difficultés et des blocages peuvent exister, surtout dans les régions qui comptent des départements à définitions économiques relativement différentes ou à préoccupations politiques variées, c'est-à-dire qui font ou n'en font pas leur priorité. Les stratégies sont différentes : marchés de services contre réseaux, etc. Ce sont des réalités de terrain. Cependant, et des exemples nous ont été donnés, tel celui du projet de la Moselle, qui cherche à se rendre cohérent avec l'initiative de Nancy, qui était antérieure, les collectivités territoriales savent peu à peu bâtir cette cohérence. Nous n'en sommes plus aux querelles de clocher qui pouvaient parfois paralyser ou engager des financements trop importants.

3) Quels montages ? Avec quels partenaires ?

Nous recensons aujourd'hui 38 DSP de modèle concessif, 18 réseaux en régie, 6 en affermage. Cette diversité est liée à l'Histoire, à la taille ou à l'économie des projets. Nous trouvons ainsi beaucoup de régies dans les agglomérations, qui ont ouvert des réseaux de façon déjà assez ancienne, en multi-GFU par exemple, en fibre optique. Cela a souvent été la démarche initiale. Le deuxième type, les affermages, est le mode dominant dans les réseaux de grande ampleur, avec une capillarité étendue et un financement public important. Les concessions sont plutôt pour des réseaux actifs, là où le métier d'opérateur est important et où le délégataire assume une forte part de risque.

Cette diversité, que l'on retrouve pour tous les services publics (ce n'est pas un domaine particulier : ce genre d'approche est varié et habituel de la part des collectivités) montre que les collectivités se sont approprié ce domaine. Elles ont bâti des solutions adaptées à leurs besoins, à leurs souhaits ou à leur volonté politique. Il n'y a pas de modèle imposé par le haut, mais une diversité émergente d'un mouvement décentralisé.

Les partenaires des collectivités sont les constructeurs de réseaux des BTP, les filiales d'opérateurs, les opérateurs d'opérateurs. De nombreux acteurs sont devenus partenaires assurant ainsi une part du financement et le risque d'exploitation. Vous les connaissez : LD Collectivité, Axione, qui vient de rejoindre ETDE, Vinci, Sogetrel, TDF, France Télécom, Marais, Eiffage, Altitude. Sur le schéma (ci-dessous), nous voyons chaque acteur avoir des actions soit spécifiques, soit croisées avec d'autres opérateurs. Tout ceci est encore assez mouvant. Dans ce secteur, (comme dans les autres, d'ailleurs), nous pouvons nous attendre à une certaine consolidation dans les années qui viennent. Tout ceci va peu à peu se structurer. Comme cela se produit à chaque grande innovation.

Parmi tous ces partenaires, il en est un qu'il faut rappeler, la Caisse des dépôts. Elle a pris des participations dans une douzaine de sociétés exploitantes. Ce n'est pas simplement un partenaire d'intention : c'est un partenaire qui est à nos côtés et qui, au-delà de sa participation concrète, apporte aussi une aide à la conception, toujours dans l'intérêt des collectivités.

4) Quel impact ?

Trois cibles d'usagers sont visées par les réseaux déployés aujourd'hui :

  • les services publics, en raccordant tous les établissements scolaires, universitaires, de la recherche, de la santé, etc. Des exemples nous seront montrés ;
  • les entreprises, en raccordant en particulier les zones d'activités ;
  • le grand public et les toutes petites entreprises, par l'extension des limites géographiques du dégroupage.

Côté services publics, notre action permet de déplacer les budgets du fonctionnement à l'investissement tout en augmentant les débits. Au lieu de payer pour les propres besoins des services publics - bâtiments publics, collèges, etc. - ou de subventionner du fonctionnement, pour les universités par exemple, nous réalisons un investissement, développant dans le même temps une offre de services sur le territoire. C'est un point important de l'économie réelle de ces réseaux publics, qui permet, notamment en zone urbaine, d'atteindre l'équilibre en quelques années.

Du côté des zones d'activités, il reste des points de blocage - c'est le secteur principal de travail et d'étude pour les mois et les années qui viennent -, en particulier autour de la récupération ou de l'installation du génie civil pour desservir l'ensemble des bâtiments. C'est une action difficile. Le Sipperec, Nancy et le Tarn le vivent sur le terrain. L'enjeu est de première importance, en termes de localisation des activités et de développement des usages pour les entreprises. L'Avicca réalise actuellement une étude au profit des collectivités ; il sera disponible en fin d'année.

Le point le plus important à souligner est l'impact sur le dégroupage. France Télécom fait un effort considérable pour équiper tous les répartiteurs d'ici 2006, cela a été rappelé. Nous l'en félicitons et nous attendons ce développement. Cependant, sur 12 000 répartiteurs, seuls 1 000 sont dégroupés, sur les zones les plus denses ; ceci représente près des deux tiers du territoire bâti, mais la moitié de la population seulement en bénéficie et peut avoir réellement une offre diversifiée. L'Arcep souligne très justement que l'extension du dégroupage est désormais portée par les collectivités. Les opérateurs passent déjà par les réseaux d'initiative publique pour desservir 200 NRA.

Pour tous les usagers : grand public, entreprises et services publics, l'impact des réseaux sera très important. Un pointage, qui vient d'être fait sur 27 des 62 réseaux de collectivité en construction ou décidés, en donne une idée : 1.270 NRA supplémentaires sont dégroupables en plus des 200 déjà effectifs. L'Arcep a raison : l'extension du dégroupage est désormais portée par les collectivités.

5) Jusqu'où aller ?

Aujourd'hui, les collectivités établissent les cœurs de réseau, les parties structurantes, des boucles, principalement en fibre pour relier les zones d'activités, les consommateurs publics, les principaux points de présence et nœuds des opérateurs, indépendamment de leur technologie propre (paire de cuivre, câble, fibre ou le hertzien). Il n'y a pas d'incertitude sur la durabilité de ces engagements et leur compatibilité avec les nouvelles technologies d'accès.

Faut-il aller plus loin et comment ? Il a été souligné par nos sénateurs que nous n'avons pas fini, que le chemin est encore ouvert. La réponse à ces questions dépend en grande partie d'une politique de l'État, du côté de la réglementation de la concurrence, de la régulation, de la normalisation et de la prescription, de la législation et de la péréquation financière.

La couverture des zones blanches, par exemple, nécessite leur identification mais la transparence est soumise au bon vouloir des uns et des autres. Elle dépend aussi de mesures financières nationales : quelles perspectives pour le service universel ? Voilà une question qui est un peu abandonnée. Que peut-on mettre dans le service universel ? C'est une autre question qu'il faut résoudre - ou ne pas résoudre, mais il faut alors le dire. Si l'État s'en charge, on en reste à l'État et nous pouvons savoir ce que nous devons faire, nous les collectivités. Quelle réalité pour le fonds de péréquation ? Nous attendons toujours, sur ce sujet, la publication de l'utilisation de ce fonds dont l'on nous dit qu'il n'y a pas nécessité de l'augmenter. Pourquoi ?

Quel modèle pour le passage au très très haut débit, qui est pour demain ? Quand nous nous comparons au Japon ou à d'autres pays, nous voyons des modèles qui nous permettent d'aller plus loin. Va-t-on, comme aux États-Unis, vers une concurrence sur le financement des infrastructures d'accès - c'est-à-dire : à chacun son réseau fermé ? C'est peu probable, mais ceci représenterait des dépenses cumulées qui deviendraient considérables pour l'ensemble de la communauté économique. Y aura-t-il une étape définie par l'opticalisation et le dégroupage des sous-répartiteurs ? Auquel cas, c'est toute une stratégie sur laquelle il faut déjà travailler. Ou faut-il aller directement jusqu'aux bâtiments proprement dits, le « Fiber-to-home » ? C'est peut-être l'autre hypothèse sur laquelle il faut travailler. En termes d'aménagement de nos zones d'activités, cela pose une vraie question. Toutes ces interrogations ne sont pas tranchées. La ville de Pau expérimente, grandeur nature, y compris pour le grand public, cette distribution jusqu'au domicile. C'est à suivre avec beaucoup d'attention.

La tendance la plus générale est de pousser une fibre mutualisée le plus loin possible dans les zones d'activités, en hiérarchisant les priorités. Je pense que madame GAUTHEY nous délivrera quelques précisions sur ces définitions.

Le consensus a été trouvé, traduit par le L.1425-1. Les collectivités n'agissent pas sur les services, mais plutôt sur les infrastructures et les réseaux ouverts. Pour ce faire, elles doivent savoir dans quel cadre général leur action va s'inscrire aujourd'hui et demain. Les réponses sont urgentes : à chaque fois qu'une collectivité urbanise une zone, elle se pose la question de déployer ou pas des réseaux, en cuivre ou en optique, sous quelle architecture, avec quel mode de gestion.

Ces interrogations sur les limites de l'action publique sont classiques ; elles sont habituelles dans tous les domaines pour les élus. Cependant, nos convictions sur les principes ne sont pas altérées. Messieurs les sénateurs l'ont souligné. C'est maintenant acquis : le rôle de la collectivité publique n'est plus contesté, il est désormais admis, voire souhaité par tous les acteurs de ce domaine. Avec la création de ces grands réseaux structurants et les nouvelles opérations d'aménagement, c'est l'attractivité durable de nos territoires qui se construit aujourd'hui. Vous avez eu raison de souligner tout à l'heure que ce sont souvent les zones les plus éloignées, les plus marginales qui réagissent les premières car elles doivent se mettre dans une situation de lutte. Cette lutte crée une « culture » locale, une volonté de bâtir des solutions ; ceci pour le bien commun, tant pour les chefs d'entreprise que pour l'habitant, tant pour le consommateur que pour le citoyen, tant pour les administrations que pour les administrés, tant pour les collectivités que pour les partenaires.

Patrick VUITTON, Avicca

Serge BERGAMELLI, pour étendre ce panorama, l'intervention des collectivités ou des pouvoirs publics en général sur ces réseaux de communication électronique est-elle une exception culturelle française ? Quel est l'impact de cette activité sur les territoires et comment le mesurez-vous ?

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