Numérique / Territoires

3 opérateurs gagnants, 85% du territoire perdant ? Février 2016

Le rapprochement engagé de Bouygues Télécom et Orange intéresse de fait tout le secteur, chacun étant censé y retrouver son compte. Mais si les négociations ont lieu entre les quatre grands opérateurs, il y a jusqu’ici un absent : l’ensemble des collectivités qui ont en charge d’apporter les réseaux très haut débit sur 85% du territoire français.

Autour de ces opérations on parle beaucoup d’emploi et d’investissement. C’est légitime. Mais les emplois et les investissements, ce sont aussi tous ceux des entreprises et des services publics qui ont besoin de télécommunications de plus en plus performantes, et à bas coût, partout sur le territoire, pour se moderniser.

Si les collectivités ne sont pas invitées à la table de négociation, elles sont pourtant directement concernées. Des dizaines de régions et départements, des milliers de communes et d’intercommunalités ont fait des choix budgétaires difficiles pour y arriver, des contrats sont signés, des travaux engagés. Le Plan France Très haut débit les engage à assumer 13 milliards de risques d’investissements dans les cinq prochaines années. La moitié de cette somme est une subvention, normalement à part égale entre l’Etat et les collectivités, afin de permettre que les opérateurs utilisent ces réseaux au même coût que dans les zones rentables. Mais c’est un constat : les grands opérateurs ne jouent pas le jeu. Depuis un an, ni Bouygues ni Free ne sont venus co-investir ni même louer les réseaux publics FTTH ; quant à Orange et SFR, ils ne sont venus co-investir quasi-exclusivement que sur les réseaux publics qu’ils exploitent. Au mieux les opérateurs majeurs mettent en balance leur venue sur ces réseaux pour capter des marchés publics de construction et d’exploitation ; au pire, ils pourraient jouer l’attrition pour ceux qu’ils perdent, en retardant leur venue sur ces réseaux, espérant ainsi racheter à bas prix les sociétés qui gagnent ces marchés.

Les gouvernements successifs et les élus des collectivités ne découvrent pas subitement les stratégies et intérêts des opérateurs privés : ils misaient sur une dynamique concurrentielle. Avec les inventifs opérateurs alternatifs déjà présents, plus cinq opérateurs majeurs, nul ne pourrait rester longtemps à l’écart des performances d’un réseau Très haut débit par rapport au cuivre bientôt à bout de souffle. Dans un paysage passé à quatre puis à trois, avec leur pouvoir de marché, voire avec le risque d’oligopole déjà sanctionné dans le passé, on ne peut plus miser autant d’argent public et d’enjeux territoriaux sur un tel pari.

L’Etat – gouvernement, collectivités, ARCEP, Autorité de la Concurrence - ne peut laisser une consolidation se faire au détriment des 43% de la population qui vit et travaille sur les territoires non « rentables ».  Les opérateurs majeurs doivent co-investir ab initio, en proportion de leurs parts de marché, sur tous les réseaux d’initiative publique, dès lors qu’ils respectent les conditions techniques et tarifaires réglementaires.

 

Paris, le 16 février 2016

Patrick CHAIZE, Président de l'AVICCA