Numérique / Territoires

4. Actions - Collectivités publiques : comparaisons internationales et observatoires d'impact Septembre 2005

Serge BERGAMELLI, Caisse des dépôts et consignations

Directeur du département Développement numérique des territoires

Action des collectivités publiques :

comparaisons internationales et observatoires d'impact

(Cette intervention s'appuie sur un diaporama)

Mesdames, messieurs, bonjour. J'ai prévu de parler des éléments du contexte, des comparaisons internationales, de l'état des lieux et du premier bilan, que vous venons d'ouvrir, puis des perspectives et des observatoires d'impact.

Sur le développement numérique des territoires et les éléments de contexte, tout a été dit par les sénateurs. Je commencerai donc mon intervention sur la situation internationale. Les collectivités locales étrangères - Amérique du Nord, Europe de l'Ouest et du Nord - investissent massivement pour déployer les infrastructures haut débit. Pourquoi ai-je souhaité m'arrêter sur ce point ? D'abord, parce que nous sommes intimement convaincus que c'est sans cesse à l'étranger que nous devons regarder ce qui se passe. Si, au sein du territoire national, à l'intérieur des cénacles, l'évolution législative et réglementaire a été portée, il n'est plus possible de raisonner à l'intérieur de l'espace national. Il faut sans cesse se poser la question : où sont les régions européennes ? Que font les autres pays ? L'un des éléments les plus perturbateurs pour nous est de nous apercevoir, depuis plusieurs années, que, parmi les plus libéraux, parmi les pays qui accordent au marché une place significative, nous percevons, nous mesurons, nous visitons et nous découvrons des initiatives publiques qui nous étonnent parce que la relation au marché n'est pas celle que l'on croit. Je parle bien sûr des États-Unis et du Canada.

Ce regard sur l'international, la Caisse ne l'a pas fait seule. Je dois ici remercier l'Arcep pour son implication. Nous avons étudié les Etats-Unis, la Corée, la Grande-Bretagne, l'Irlande, l'Espagne, l'Allemagne, l'Italie, pour regarder trois choses :

  • l'état des lieux du déploiement du haut débit. D'où partent-ils ? Il faut faire très attention sur ce point, parce que lorsque nous comparons, nous oublions souvent le point de départ ;
  • les formes de l'intervention publique et les impacts sur la concurrence, qui renvoient à leurs propres mille-feuilles institutionnels ;
  • la mise en perspective avec la France.

Je dois dire tout de suite que le travail que vous m'avez demandé de présenter a été remarquablement synthétisé par les équipes de l'Arcep. Il est en ligne sur leur site, avec en complément les diapositives de présentation par pays.

1) L'état des lieux du déploiement du haut débit

Nous y voyons d'abord des convergences : un marché en forte croissance - entre 5 et 10 % de la population abonnée et un doublement entre 2002 et 2004 ; une émergence du très haut débit avec des boucles locales. Nous constatons une résorption progressive de la fracture géographique en termes de couverture, tous pays confondus. Entre les zones urbaines et les zones rurales persiste une fracture sur les services. C'est extrêmement important parce qu'entre nous, nous parlons souvent de première et de seconde fracture, mais que, lorsque l'on est invité au sein d'un exécutif régional ou départemental et que l'on parle de ces deux fractures, l'on s'aperçoit, dans les yeux de ceux qui sont assis autour de la table, que la première est comprise alors que la seconde est d'une compréhension plus difficile.

Divergences

Ce sont les politiques des opérateurs qui entraînent des disparités sur le taux d'équipement. Les graphiques (annexe...) vous indiquent : 70 % des foyers connectés en Corée, seulement 5 % en Irlande. C'est bien pour cela que, quand nous envoyons des gens en Irlande regarder ce qui se passe pour comprendre la politique, il faut saisir le point d'où ils partent. Nous avons d'énormes disparités sur les prix des services. Nous constatons également une diversité technologique : un développement rapide du dégroupage en Allemagne et en Italie, pas de dégroupage en Corée, des câbles hauts puissants aux États-Unis et en Grande-Bretagne.

Convergences

Nous avons retrouvé l'action en trois temps :

l'agrégation de la demande publique (Grande-Bretagne) ;

l'on commence à réduire la fracture géographique et à poser le problème de l'articulation entre le développement territorial et la compétitivité des territoires ;

l'on passe ensuite à la réduction de la deuxième fracture, qui pose la question des services compétitifs et des prix sur l'ensemble des territoires.

Le bilan, tous pays confondus, notamment ceux qui font la course en tête, est le suivant : pas de couverture territoriale sans intervention publique et impact direct de l'action publique sur la diffusion des usages.

Vous connaissez les divergences. Certains secteurs sont pilotés par l'État, soit parce qu'ils sont loin devant, soit parce qu'ils sont derrière. L'État pilote en Corée, en Italie et en Irlande. Nous ne sommes plus sur des logiques de décentralisation aux États-Unis, en Grande-Bretagne et en France. J'ai vu votre interrogation sur le fonds de péréquation.

Structures juridiques

Nous trouvons de tout : du prêt à long terme en Espagne ; du partenariat public-privé, le fameux PPP ; l'intervention des city carriers - ce sont des utilities ; des régies ; et des délégations. Je vous rappelle ce que j'avais essayé de dire aux entretiens de l'ART lorsque nous nous étions retrouvés l'année dernière : ce n'est pas parce que nous avons le L.1425 et la DSP que nous résolvons le problème. Ce ne sont que des outils.

2) La mise en perspective avec la France

On constate en France une des plus fortes progressions de l'accès au haut débit : + 80 % en 2004, + 38 % pour les Etats-Unis. Mais regardez où est la Corée et regardez le taux de pénétration - les chiffres datent de mars 2004 ; vu la vitesse, ils sont peut-être encore à ajuster.

La France est bien l'un des pays les mieux positionnés en Europe en termes de prix de services. L'existence de réseaux développés par les collectivités y contribue.

Le dernier élément, un peu provocateur, relève la quasi-inexistence des projets très haut débit.

3) Bilan et enseignements

Je ne reviendrais pas sur ce qu'a dit Martial GABILLARD. Chaque année, l'on nous demande de montrer nos instruments de travail. Quels sont nos instruments de travail ? Nous regardons les DSP. Il n'y a pas de décalage entre les chiffres. Il y a bien eu 23 délégataires retenus, 25 DSP en cours, 17 études terminées et 34 études en cours. Bien évidemment, tout ceux qui sont en phase d'étude n'iront pas au bout, mais, la plupart du temps, l'étude mène à la compréhension, puis à l'action.

Je remercie les équipes d'Ortel d'avoir actualisé la carte des réseaux optiques des opérateurs alternatifs. Il reste des interrogations. Est-ce que l'Ariège a délibéré ? Est-ce qu'ils en sont là ou pas ? Ont-ils attribué la délégation ? Nous pouvons affiner la carte. Il ne faut pas que chacun se projette dans la carte en disant : « je n'y suis pas » ou : « j'y serais demain » : ce sont des documents de travail à ajuster en permanence. Pour la Guadeloupe, je rappelle qu'il s'agit d'un câble sous-marin d'extraction. Nous avons la même analyse. Au 15 septembre 2005 :

  • nous avons 14 délégataires qui ont été retenus : Guadeloupe, Yvelines, Hérault, Loiret, Eure, Loire... Nous avons en face les groupes, les opérateurs d'opérateurs qui ont été retenus : Mediasurf, Eiffage, Sogetrel, LD, Altitude ;
  • nous avons ensuite des cahiers des charges qui ont été envoyés. Je vois que l'Ariège se trouve dans la rubrique « cahier des charges envoyé ». Or l'on me dit que la décision est en train d'être prise ;
  • en ajoutant les “avis d'appel public à candidature”, nous arrivons à 37 ;
  • avec les “lancement de la procédure en attente” nous sommes à 43 projets ;

Puis, tous ceux qui sont derrière nous : l'Alsace, Dorsal, jusqu'aux pionniers, puisque Castres-Mazamet, le Tarn, le Grand Toulouse, le Sipperec y figurent.

Voilà le bloc des 55 projets sur lesquels nous travaillons. Nous voyons que même si les chiffres circulent, il faut les renvoyer symétriquement à leur identité.

Le premier bilan

Le bilan est celui qui a été précédemment indiqué :

  • le chiffrage est effectivement de 1,119 milliard € et 23 DSP déjà attribuées ;
  • la ventilation par collectivités porteuses : 137 projets sont dans la procédure, en cours d'étude ; les autres sont les DSP attribuées.

Les projets des collectivités rencontrent bien leur marché. Les FAI sont clients des réseaux. Vous avez évoqué les principaux acteurs qui sont positionnés : les collectivités, LD Com, puis Axione, Vinci et Marais, qui répondent très souvent en groupement avec d'autres partenaires, qui ont été mentionnés : Sogetrel, TDF ; France Télécom démarre son positionnement, avec la DSP de la collectivité territoriale de Corse qui a délibéré, attribué, et signé entre juillet et août 2005. C'est FT qui a candidaté et qui a remporté le marché. Aujourd'hui, sur ces DSP, les projets concernent essentiellement la collecte et je confirme que nous observons une montée en compétence des collectivités dans la gestion des projets. Il n'y a pas de jugement de valeur, il y a simplement le regard qui montre que le dialogue s'établit.

Martial GABILLARD a évoqué le travail qui a été fait par nos équipes et celles de l'Arcep sur l'impact prévisionnel des DSP, sur le dégroupage. Nous nous étions arrêtés à juillet 2005. Vous étiez à 1.000, mais vous voyez (annexe...) que nous sommes exactement sur la même base de chiffres : en bleu, les NRA livrés, et ensuite, qu'est-ce qui est potentiellement dégroupable par le biais des DSP attribuées ? Nous voyons bien 944 en bas et 836 qui seront livrées a priori en décembre 2006. Nous pouvons là aussi avoir un effet d'ajustement, mais la masse est bien celle-ci. Je confirme donc le diagnostic qui a été donné. Les derniers chiffres ont d'ailleurs été réalisés par un échange avec les équipes de l'Arcep pour l'estimation de juillet 2005.

Premiers enseignements

Le modèle juridique n'est que l'enveloppe du projet. Il existe d'autres modèles en dehors de la DSP et ce n'est pas un effet de rhétorique.

La fracture numérique ne se distingue pas uniquement en termes de couverture géographique. On entend encore ce type d'arguments. Il faut bien aller au cœur du sujet. Elle concerne également les prix et les services, et l'intervention publique est plus que jamais indispensable : il suffit de voir la Corée et la Suède, qui sont devant et continuent à avancer. L'intervention publique doit porter en priorité sur les réseaux de collecte.

Les projets doivent veiller à créer les conditions d'une desserte concurrentielle au meilleur prix. Pourquoi ? Parce que - là non plus ce n'est pas toujours politiquement correct - les collectivités locales sont bien engagées dans une concurrence brutale. Pour nous, la carte de France n'est pas la carte de France qui était celle de notre école primaire. Tout se tord et se distord entre ceux qui ont démarré, ceux qui n'ont pas démarré, ceux qui ont pris du retard. C'est vrai aussi en Europe. Dans le rapport, nous constatons qu'il y a parfois cinq années d'écart entre deux pays. Entre 5 % de connectés en Irlande et 78 % en Corée, vous mesurez les écarts. Les distorsions sont là. Si l'on jouait au petit jeu cartographique de faire bouger les paramètres sur le territoire, nous verrions une carte de France qui se rétrécit à certains endroits, qui monte et qui descend. Non, le territoire n'est plus égal. Je l'ai dit plusieurs fois. Oui, la concurrence est brutale. Ce qui se passe chez votre voisin est de nature à détruire votre chaîne de valeur. Il n'est pas utile de multiplier les rapports sur le déclin et la décroissance de la France, il suffit de les lire. Par rapport à cela, les territoires ne sont plus égaux face aux télécoms. Il n'est que de relire les études menées par l'Aforst (sigle) sur les prix pour voir que les écarts sont importants.

Les retombées TIC sont maximales quand cet investissement s'inscrit dans une stratégie territoriale globale. Les collectivités ne font pas des infrastructures télécoms. Elles mènent des politiques de développement numérique, qui englobent l'e-santé, l'e-tourisme, l'éducation, et l'administration. Il faut passer par des stratégies territoriales, il ne faut pas s'enfermer dans la conduite de projets télécoms. Pour prendre un exemple actuel très simple, c'est le grand maelström sur le dossier médical personnel et partagé et sur l'idée que votre médecin accédera à votre dossier. Si votre dossier médical comporte des tomographies, des radios, des analyses biologiques, en tout point du territoire, votre médecin traitant devra disposer de moyens de télécommunication à haut débit pour accéder à ce qui sera votre ligne de vie. Tout cela se prépare. Il ne faut pas isoler dans une hyper-technicité toutes les problématiques d'infrastructure en oubliant tout ce qui se passe ailleurs, y compris sur les usages ; parce que l'usage c'est bien l'humain, ce sont les hommes qui sont là.

4) Les observatoires d'impact

A mon sens, dès lors que les collectivités se lancent dans les projets d'infrastructure, et même si ces investissements sont un peu lourds comme l'ont indiqué les deux sénateurs, il est évident que la capacité à mesurer les impacts directs et indirects est essentielle pour leur propre politique, leur propre sécurité, leur propre logique de communication. Il y a bien la nécessité d'avoir un diagnostic territorial post-déploiement. Il y a bien la nécessité de mettre en place des observatoires d'impact intégrant aussi les effets sur l'appropriation des usages et le développement économique. Je parle bien d'outils de communication politique, d'outils d'aide à la décision. Le problème ensuite est de savoir que mesurer, qui doit le faire, comment et avec quelle granularité. Je sais qu'il y a dans la salle des Départements, des agglomérations, des Régions, qui ont travaillé, qui ont commencé à se doter de ces outils. Ce sont des outils en direction des citoyens, en direction des élus qui n'ont pas encore accédé à la compréhension des enjeux, en direction aussi des opérateurs et des équipementiers qui tournent autour des élus pour apporter leur lecture du sujet. Je pense qu'il faut mettre en place le plus tôt possible cette mesure de l'impact, qui peut se référer à l'évaluation et à l'accompagnement des politiques publiques ; il ne faut pas trop retarder la mise en place de ces observatoires.

Patrick VUITTON, Avicca

Merci de votre concision. Nous allons maintenant entrer dans le concret, en parlant de l'impact mesuré et l'impact ressenti sur un territoire : celui du Tarn, qui était le premier département à se doter d'un réseau.

Thierry CARCENAC, vous êtes président du Conseil général et également Président de la Sem e-Téra, puisque ce réseau a été déployé par une société d'économie mixte, ce qui vous a permis de contourner certains obstacles juridiques à l'époque. Nous n'allons pas revenir sur ces questions juridiques mais, principalement, sur la façon dont vous mesurez cet impact. Ce réseau a servi pour les zones d'activités, nous avons vu des annonces sur l'extension du dégroupage ; nous avons vu qu'il servait également de support pour un réseau éducatif. Quel est votre sentiment sur l'ensemble de ces questions ?

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