Numérique / Territoires

Discours d'ouverture d'Yves ROME au colloque de l'Avicca 2014 Mai 2014

 

Madame la Ministre,

Mesdames et messieurs,

 

Nous avons une certitude sur le très haut débit : la nécessité de réussir, la nécessité d’y donner accès, en profondeur sur le territoire, le plus rapidement possible, pour que nos concitoyens puissent bénéficier des services numériques - au premier rang desquels nous plaçons l’emploi, la formation et l’éducation, la santé - mais aussi pour qu’ils puissent en être acteurs.

Cette certitude se traduit dans une mobilisation politique exceptionnelle, des collectivités et de l’Etat. Exceptionnelle par son ampleur, avec 95% des territoires couverts par un schéma directeur territorial d’aménagement numérique, c’est à dire une vision partagée du chemin à accomplir, qui mobilise communes, intercommunalités, syndicats d’énergies, départements et régions : un millefeuille ça peut aussi être très bon ! Et 2/3 des départements concernés par un projet, départemental ou régional, déposé au fonds national pour la société numérique.

Mobilisation exceptionnelle aussi parce que, dans un contexte général de remise en cause des projets d’infrastructures, celui-ci a été accéléré. Et l’effort accru de péréquation, l’augmentation des aides du Plan France Très haut débit ont porté leurs fruits.

De grands appels d’offres ont été attribués, Loiret, Auvergne, Vaucluse, Calvados, Eure-et-Loir, Oise, Doubs, et les travaux sont en cours. D’autres sont lancés, Loire, Savoie, Yvelines, Bretagne, Manche, Seine-et-Marne, Somme, Cher, je ne les citerai pas tous. Un accord entre Orange et le Syndicat de l’Ain a été trouvé, nous nous en réjouissons, je sais que la Mission Très haut débit animée par Antoine Darodes y a beaucoup travaillé. Nous avons fait le point hier avec la direction des fonds d’épargne de la Caisse des dépôts : 220 millions d’euros sont signés ou en cours d’instruction, l’appel à l’épargne conventionnée fonctionne.

Mais nous avons aussi, Madame la Ministre, beaucoup d’incertitudes.

Incertitude financière, sur le FEDER, remis en cause au dernier moment. Incertitude sur la poursuite de l’accompagnement de l’Etat, au delà des 900 millions initiaux, qui devaient être complétés par le montant perçu sur certaines licences pour la 4G. Il serait insupportable que le guichet du FSN se ferme, où que l’instruction se ralentisse, laissant au bord du chemin une partie de la France. Si le budget n’y suffit pas, et nous savons à quel point il est contraint, analysons à nouveau une éventuelle contribution de service public adossée aux abonnements, comme cela existe pour l’électricité. Cette mutation a un coût. Il faut la financer. Elle aura des retombées économiques, tout le monde le sait.

Incertitude aussi sur la réforme territoriale. Je ne rentrerai pas ici sur le fond du sujet, qui renvoie certes à l’efficacité, mais aussi à la démocratie et à la vision même de notre territoire national. J’espère que nous trouverons de bonnes solutions, mais en attendant, il serait dangereux de ne plus pouvoir continuer à monter des projets, et croyez-moi, vu les montants à investir, le mille-feuille actuel n’est ni trop gras ni trop sucré.

Au passage, Madame la Ministre, j’attire votre attention sur le fait que la version actuelle du projet de loi de décentralisation permet que les contributions des collectivités soient prises en compte en investissement sur dix ans, alors que nous empruntons à 20, 30 ou 40 ans grâce au Plan France Très haut débit. Je me ferai une joie, en tant que parlementaire, avec mes collègues, de mettre cela en cohérence, mais une encore plus forte que le texte nous arrive déjà amélioré.

Nous nous sommes rencontrés très peu de temps après votre prise de fonction et je vous remercie de l’intérêt que vous portez à l’aménagement numérique. Cela m’a permis de résumer les demandes de l’AVICCA sur des adaptations du cahier des charges du Plan, notamment pour assurer une priorité effective aux services publics et entreprises, pour articuler les réseaux d’initiative publique de première et deuxième génération, pour permettre la continuité territoriale outre-mer. Les dossiers en instruction ont clairement montré ces nécessités. Par ailleurs, la mission sur la transition vers la fibre et l’extinction du cuivre ne doit pas accoucher d’une souris, mais proposer des mesures concrètes en ce sens, notamment de régulation. Il faut l’y aider si elle n’y arrive pas dans sa configuration actuelle.

La régulation, indépendante du gouvernement, nous apporte aussi des incertitudes sur les investissements que nous réalisons dans la fibre, que ce soit du côté de la boucle locale dédiée aux professionnels, pour laquelle nous demandons une protection temporaire des investissements, ou du côté FTTH, avec une régulation purement symétrique alors qu’un opérateur d’opérateurs d’initiative publique, local, non verticalement intégré, est dans une asymétrie évidente par rapport à un opérateur puissant.

Autre incertitude, celle liée aux opérateurs privés. L’ARCEP, pour la première fois, a précisé des chiffres fin 2013. Sur la zone moins dense, les collectivités ont déployé 336 000 prises en fibre optique jusqu’à l’abonné ; les opérateurs, Orange et SFR, 250 000 au total. Ils doivent en réaliser plus de 10 millions d’ici 2020 ; nous les avons auditionné hier, dans notre journée de travail. Le plan France très haut débit, comme le programme national précédent, a acté de leur intention d’investissement. Les travaux avancent, mais certaines intercommunalités concernées commencent à s’impatienter, voire à s’inquiéter, et quelques unes agissent déjà.

L’observatoire national, décidé il y a un an, doit être publié pour objectiver l’avancement de la couverture, adresse par adresse, pour tout le Très haut débit. Nous écouterons tout à l’heure très attentivement les cinq opérateurs, qui demain ne seront plus que quatre, à la fois sur les déploiements privés et sur leur investissements dans les réseaux d’initiative publique. Je les remercie de leur participation à cet exercice d’échange, pas toujours facile, car nous évitons la langue de bois. Chacun d’entre eux est important pour nous, afin d’assurer une dynamique à ces nouveaux réseaux, et pour que le consommateur ait le choix. Quelles conséquences de la concentration en cours ? Quelle place pour les réseaux câblés ? Quels investissements après la chute des revenus ? Si les opérateurs ne peuvent plus tenir leurs intentions, qu’ils le disent, et que l’on reconsidère leur zone d’action. Sinon, qu’ils tiennent leurs promesses et continuons, opérateurs et collectivités. Chacun a du grain à moudre, c’est certain.

En résumé, Madame la Ministre, nous avons à la fois besoin de continuité sur les grandes options, et d’adaptations à la réalité et aux changements que, d’ailleurs, notre action elle-même contribue à provoquer.

J’évoquerai, cette après-midi en accueillant Arnaud Montebourg, le volet industriel de cette mutation, qu’il ne faut pas oublier. En conclusion, prenons un peu de champ pour mieux comprendre le présent et préparer l’avenir. Il y a trente ans, en 1984, pour la première fois, les collectivités étaient invitées à agir dans les télécommunications, avec le lancement du Plan Câble, ce même câble qui revient en force dans l’actualité. Malheureusement, un an après, était lancé Canal+, puis deux autres chaînes hertziennes gratuites, au grand dam des collectivités qui s’étaient inscrites dans cette démarche, et des opérateurs. Certains parlent d’un échec au motif qu’il s’agissait d’un plan de l’Etat. C’est un contresens : il n’y a pas eu de pilotage, pas de cohérence. Et aux Etats-Unis, où il n’y avait pas de plan, deux générations de câblo-opérateurs ont fait faillite ; la troisième a fait fortune, et le très haut débit et le câble y sont extrêmement coûteux pour les consommateurs. Pour nous, avec de tels enjeux d’aménagement du territoire, le laissez-faire n’est pas une option.

Nous continuerons donc à appeler de nos vœux un pilotage renforcé, associant l’Etat et les collectivités, à la hauteur des exigences et des difficultés de ce chantier.

Il y a 28 ans était créée l’AVICCA, association des villes câblées. Dans le domaine des infrastructures, nous sommes dans l’histoire longue – même si nous cherchons à l’accélérer. Un disciple de Ferdinand Braudel l’écrira un jour, et on verra sans doute comment celles pilotées exclusivement par l’Etat, comme le TGV ou les autoroutes, poussent à la centralisation et à la métropolisation, et comment d’autres, sous la responsabilité des collectivités, et avec l’Etat, permettent aussi une dynamique positive sur l’ensemble du territoire : réseaux d’eau, d’électricité, et aujourd’hui de très haut débit.

Chacun de vous ici y contribue, élus, agents des collectivités et des services de l’Etat, bureaux de conseils, industriels, équipementiers, opérateurs. Modestement, mais avec détermination, nous écrivons tous ensemble une page de l’histoire de France.

Madame la Ministre, nous comptons sur votre détermination pour ce chantier, vaste, complexe, mais essentiel, et vous pouvez compter sur la nôtre.

Bon colloque, bonne journée à tous.