Numérique / Territoires

Extinction de la boucle locale cuivre, de la bande FM, de la télévision analogique Juin 2012

Comment l'Etat peut-il faciliter la transition vers des réseaux numériques plus performants ? Souvent les acteurs en place ont de forts intérêts à maintenir les situations acquises : jeu assez stable, numerus clausus de fait, rentes de positions dominantes etc. En face, il s'agit de migrer les accès de millions d'usagers. A terme, l'économie est assurée, les ratios de performances de la radio ou de la télé numérique sur l'analogique, ou de la fibre optique sur le réseau cuivre sont tels qu'il y a un moment de basculement, et que la nouvelle infrastructure finit par s'imposer. Mais la durée de la transition a un coût important pour tous les acteurs, et les freins que certains y mettent aggravent l'équation.

Un des leviers d'action de l'Etat, peut être d'organiser "l'extinction" programmée de l'ancienne infrastructure. Dès lors, chaque acteur est obligé de migrer dans un délai imparti. Toute la chaîne est mobilisée : constructeurs de la nouvelle infrastructure, fabricants d'équipements, opérateurs, distributeurs, usagers...

Cependant ce levier n'est pas aussi puissant ou facile à organiser pour la radio que pour la télévision, et encore moins pour le réseau cuivre de France Telecom : il faut se méfier des analogies en matière de numérique ! Et pour contribuer à une vision globale, encore à construire, une expérimentation locale de basculement complet vers un réseau FTTH serait très utile.

La TNT : une extinction organisée et qui a eu de la chance

La télévision analogique s'est éteinte dans le délai imparti, ce n'était pas gagné d'avance. L'appétence des spectateurs à s'équiper devait en théorie reposer sur deux pieds : télévision gratuite et payante. La payante a été un fiasco total, mais par chance, la transition française s'est effectuée en même temps que l'arrivée des écrans plats puis de la HD, et donc d'un renouvellement spontané du parc de récepteurs. L'adoption d'une norme technique internationale a été déterminante pour y contribuer. Les mesures d'accompagnement ont été très nombreuses (aides à l'équipement pour les personnes hors zones de réception, GIE des acteurs pour accompagner la transition en communication, en actions ciblées par territoires et publics, appui des collectivités locales etc.).

Au départ les trois chaînes privées en analogique ont tout fait pour retarder l'arrivée et le démarrage de la TNT. Mais ces chaînes occupent le domaine public de l'Etat. A partir du moment où leurs licences en analogique s'arrêtaient à une date fixée, et où la dynamique était enclenchée, elles ont dû jouer le jeu. Cyniquement on peut constater qu'après avoir lutté contre l'arrivée des nouveaux entrants, les grands groupes les ont presque tous rachetés (avec une belle plus value au passage pour quelques entreprises... pour des licences gratuites). Le prix de la transition ?

La bande FM vers la Radio Numérique Terrestre : transition incertaine

La partie s'annonce beaucoup plus rude pour le lancement, déjà maintes fois reporté, de la RNT. Les handicaps sont nombreux : hésitations sur la norme, existence d'une offre déjà assez large (il n'est pas question de multiplier le nombre de chaînes par 5 comme pour la TNT), nécessité de renouveler un parc considérable de récepteurs... Malgré des avis contraires (rapport Kessler de 2011), le CSA a néanmoins décidé de lancer des appels à candidatures par grandes agglomérations, avec Paris, Marseille et Nice en mai 2012, jusqu'à Bordeaux, Toulouse, Lyon, Grenoble et Saint-Etienne en avril 2013. Le CSA veut également attribuer des autorisations d'envergure nationale en bande L dans le cadre de la relance de la RNT.

La transition s'avère plus longue que prévue dans les pays qui se sont lancés depuis plusieurs années. Devant les incertitudes, aucune date n'est fixée en France pour l'extinction de l'analogique... et aucune date n'étant fixée, les quatre grands groupes privés (NRJ, NextRadio TV, RTL, Europe 1) se sont payés le luxe, concerté, de ne pas répondre au premier appel à candidature. Ce faisant, ils diminuent l'intérêt des consommateurs, fabricants de matériels, distributeurs à passer à la RNT... L'équation sera donc difficile pour les radios publiques, associatives, ou les indépendantes privées qui soutiennent la démarche de la RNT.

Enfin durant tout ce temps la diffusion classique sera encore plus concurrencée par les alternatives (radio sur IP, téléchargement, réception sur les mobiles etc).

Le cuivre : comment programmer "l'extinction" ?

Le réseau cuivre n'occupe pas le domaine public de l'Etat, et il ne fait pas l'objet de licence à durée déterminée, contrairement aux fréquences pour le mobile ou les chaînes. Les fourreaux et poteaux qui supportent ce réseau cuivre empruntent bien le domaine public des collectivités, mais ils sont destinés à rester, pour supporter les réseaux en fibre...

L'ARCEP a tenu compte du programme national Très haut débit, qui prévoit une transition vers le très haut débit censément achevée en 2025. Dans son modèle de coût, qui sert à calculer les tarifs d'accès au réseau de France Telecom, elle a donc pris en compte un amortissement calé sur cette échéance pour le réseau cuivre. Mais il ne faut pas croire qu'en 2025, pour cette simple raison, le réseau de France Telecom ne vaudra plus rien : la comptabilité de l'opérateur est différente du modèle de coûts du régulateur. Obliger France Telecom à "éteindre" son réseau cuivre semble difficile dans un cadre européen de liberté d'établissement des réseaux, et se poserait alors la question d'une indemnisation. Si la boucle locale était restée une propriété publique, l'Etat aurait pu en disposer. Ce n'est plus le cas et on ne refait pas l'histoire...

Certes, quand la plupart des abonnés seront partis vers la fibre, France Telecom n'aura plus beaucoup d'intérêt à conserver et maintenir le réseau cuivre, comme Verizon aux USA. L'extinction programmée du cuivre permettrait également de mieux utiliser le mécanisme du service universel (voir la réponse de l'AVICCA à la consultation du gouvernement) pour cesser de construire des lignes cuivre. Mais avec une pénétration commerciale de 12% nous n'en sommes pas tout à fait là...

Une solution serait de mettre en place des mécanismes pour inciter fortement les opérateurs à programmer eux-mêmes cette extinction. Il avait ainsi été évoqué une taxation du réseau cuivre qui enchérirait son coût, améliorant la compétitivité de la fibre ; est-ce compatible avec les règles de neutralité technologique ? Dans un registre voisin, l'ARCEP devrait logiquement raccourcir la durée d'amortissement à dix ans, qui est l'objectif fixé dans le programme électoral du nouveau Président de la République (encore à traduire encore dans un programme d'action). Ce raccourcissement augmenterait le coût d'accès au réseau cuivre et donnerait à France Telecom des moyens financiers pour passer à la fibre (ou pour investir en Egypte ou ailleurs). On peut comprendre cependant que les opérateurs alternatifs n'y soient guère favorables.

Des choix devront pourtant être faits par l'Etat (gouvernement, parlement, régulateur) sur cette question de l'extinction, afin de réussir la transition en un temps court. Et pour l'ensemble des acteurs, une expérimentation d'extinction à une certaine échelle permettrait déjà d'identifier les étapes, coûts, solutions opérationnelles pour un basculement.