Numérique / Territoires

Les jeunes ne reviendront pas à la télévision linéaire Juillet 2015

C’est le constat le plus marquant d'Eric Scherer, directeur de la prospective à France Télévisions, venu présenter à l'Union des télévisions locales de service public (TLSP) les ruptures en cours dans le monde de l'audiovisuel. Après l'écrit et l'audio, c'est, avec l'accroissement des débits, au tour de la vidéo d'être impactée, et soyons clairs à terme "ubérisée" par le numérique, autant dans sa consommation que sa production. Les points de rupture pour le monde de l'audiovisuel ne manquent pas.

Les jeunes ne reviendront pas : une prévision qui empêche les patrons de télés de dormir. Durant des décennies, les adolescents et les étudiants regardaient peu la télévision,  mais une fois installés dans la vie active, ils suivaient le chemin de leur parents : une courbe de consommation de la télévision qui progresse avec l’âge. Or les jeunes d'aujourd'hui ne regardent pas la télévision linéaire, et ne la regarderont jamais. En revanche, ils consomment beaucoup de vidéos (22h par semaine). Leur consommation se partage entre YouTube, Facebook et la télévision à la demande. Ce comportement a également tendance à gagner les générations plus âgées qui se mettent d'abord à consommer en différé. Pour ces jeunes consommateurs, le très haut débit est vital.

Ces nouvelles consommations se pratiquent sur un écran mobile, qui est devenu le premier écran. Il suffit de regarder la cour d'un lycée, dans la rue et même au colloque de l’Avicca pour se représenter cette tendance. La taille des écrans de téléphones a grandi ces dernières années et est suffisante pour regarder de la vidéo. La moitié des contenus de Youtube est visualisée sur un écran mobile. Les offres médiatiques se transforment pour répondre à la nouvalle priorité « mobile first ».

Autre constat (qui n'est vrai en France que pour les jeunes) dans plusieurs pays la bascule s'est déjà opérée : la principale source d'information n'est plus la télévision mais internet. La ligne de partage entre ceux dont la télévision ou l'internet est le principal canal d'information se situe à 34 ans en 2014. Ce nouveau mode de consommation de l'information implique de nouvelles formes narratives. Tous les grands acteurs des médias testent en ce moment des nouveaux formats qui mixent de la vidéo, des images et du texte sur des plateformes telles que Viber ou Instagram, et qui se lisent sur mobiles. De nombreux médias qui seront demain leaders sont aujourd'hui pour la plupart inconnus, voire n’existent pas encore. Et tous les médias devront être relayés, voire diffusés là où les gens vivent et s'informent, autrement dit sur des plateformes agrégatrices, soit aujourd'hui principalement Facebook et Twitter.

Le prime time n’est plus : ce qui faisait la force et le leitmotiv de la télévision était de créer des rendez-vous. Les téléspectateurs se réunissaient nombreux au même moment pour suivre le même programme. Or, à l'exception de quelques évènements très médiatiques, en particulier sportifs, la télé va rapidement basculer d’un mass média à un média sur-mesure. La "ligne éditoriale" de ces nouveaux médias sera construite par des algorithmes complexes qui mélangeront vos consommations antérieures, votre profil socioprofessionnel, l’heure de la consommation, les préférences de vos amis (...) pour vous proposer des contenus qui vous conviennent au moment où vous les consommerez et adaptés à l'écran sur lequel vous les lirez.

Encore un peu de débit, de la 4G et l'écosystème de l'audiovisuel va basculer, plus ou moins vite selon l'âge du consommateur.

Dans ces nouvelles tendances et ruptures, la télévision locale publique va devoir se créer une nouvelle place, tout en maintenant ses programmes pour ses auditeurs traditionels. Le secteur de l'audiovisuel a de la chance, il est en pleine expansion.  Un boom de la vidéo, oui, mais avec des milliers de concurrents et de producteurs (potentiellement autant que de propriétaires de téléphones mobiles qui peuvent déjà diffuser en direct et éditer leur propre télévision), avec un modèle économique qui pousse la valeur vers les agrégateurs, avec des concurrents que l'on ne voit pas arriver et qui sont petits et agiles et proviennent du numérique. Pour Eric Scherer, encore plus que jamais dans ce bruit de l'internet, le service public devra continuer de financer une information de qualité, une information vérifiée, triée, hiérarchisée et contextualisée. Bref, une information dans laquelle on a confiance.