Numérique / Territoires

Maîtriser les données en élevage et agriculture Juin 2016

Garder la maîtrise sur ses données, et choisir les réseaux pérennes de capteurs qui le permettent, tels sont les axes développés par Patrick Chaize, Président de l'AVICCA, lors de l'assemblée générale de FIEA (France Informatique Elevage et Agriculture), le 27 mai 2016 à Reims. 

"A titre personnel, maire d’une petite commune et ancien directeur d’un syndicat d’énergie qui a créé le plus important réseau en fibre optique en zone rurale à ce jour, je suis extrêmement sensible aux questions agricoles, et au numérique bien sûr, et me félicite donc d’être parmi vous aujourd’hui..

J’interviens ici en tant que Président d’une association de collectivités, l’AVICCA, qui regroupe les communes, groupements, départements, régions, syndicats mixtes et syndicats d’énergie, 250 collectivités au total, qui interviennent dans l’aménagement numérique de leur territoire. L’enjeu, c’est bien sûr d’apporter l’accès au numérique partout, pour tous, avec en priorité les secteurs économiques et les services publics.

Deux grands dossiers sont ouverts depuis plusieurs années, celui de la couverture mobile, et celui de l’accès à internet à très haut débit, je ne les aborderai pas dans cet exposé, mais suis à votre disposition pour toute question. Le troisième, qui démarre, et qui est destiné à connaître un bel avenir, c’est celui des capteurs et objets connectés. Il concerne aussi bien la gestion des collectivités locales que celle des entreprises ou des réseaux ferrés, d’énergie, celle des immeubles et autres. Pour l’agriculture, mesurer en temps réel le taux de CO2, l’humidité, la température, la luminosité, détecter la présence de véhicules, de nuisibles, de maladies, remonter ces données, les traiter pour trouver les réponses les plus adaptées, nous ne faisons aujourd’hui qu’entrevoir les évolutions à venir. Du côté élevage, la localisation, la surveillance des vêlages, la mesure de paramètres physiologiques ou morphologiques, de l’animal, mais également sur ses produits et ses comportements sont déjà en œuvre. Les réseaux de capteurs sans fils ont donc une place à prendre, à côté des drones ou des technologies embarquées sur le matériel agricole.

Dans ce domaine, comme dans le numérique en général, tout dépendra de qui maîtrise la production et l’exploitation de ces données. Agrégées dans des systèmes de « big data », elles donneront à certaines sociétés financières des possibilités d’anticiper sur les productions, de spéculer sur les cours. Utilisées par l’agrobusiness pour déclencher automatiquement l’ajout d’intrants, elles pourraient contribuer à déposséder l’agriculteur de ses savoir faire. Et au contraire, mises à disposition directement des exploitants, avec des partages d’expérience, de la co-construction, avec l’appui de vos organisations comme la Fédération, et de l’Etat, elles peuvent améliorer la productivité et diminuer ces mêmes intrants. En tant que sénateur, membre de la Commission de l’aménagement et du développement durable, c’est évidemment un point qui m’intéresse particulièrement.

Ceci n’est pas de la science fiction. Le fabricant de machines agricoles John Deere s’est diversifié pour offrir des services de données. Monsanto offre un service pour que les agriculteurs accèdent à leurs propres données et à d’autres. Google a racheté Farmers Business Network, une start-up américaine qui édite une plateforme d’information entre les agriculteurs.

Aujourd’hui, pour les objets connectés, apparaissent de nouveaux réseaux, qui permettent d’allonger la durée d’autonomie des capteurs jusqu’à dix ans, et diminuer très nettement les coûts de fonctionnement par rapport aux réseaux de téléphonie mobile. Il s’agirait de passer de quelques euros par mois et par objet à quelques centimes, ce qui permettrait de démultiplier les usages. De plus les fréquences utilisées devraient diminuer les « zones blanches » que nous connaissons en 2G et 3G. Nous n’avons pas encore de recul et de retours d’expériences sur ces réseaux, mais nous avons déjà quelques  points d’attention sur les choix que vous devrez faire, quant aux technologies, aux acteurs, et à l’accès aux données.

Bouygues et Orange ont choisir une technologie dénommée LoRa, le réseau le plus déployé aujourd’hui est celui d’une start up, Sigfox, qui a récemment reçu l’appui de SFR. Ils devraient d’ici deux ou trois ans pouvoir également utiliser leurs réseaux 2G, puis les autres générations. La « 5G » en cours de spécification intégrera fortement l’internet des objets. D’autres acteurs se lancent, soit pour leurs propres besoins comme Veolia, soit pour fournir des services, comme Qowisio ou d’autres ; certaines collectivités comme Rennes Métropole et Chartres métropole envisagent de créer des réseaux publics. C’est une situation totalement nouvelle, du fait que les coûts de déploiements sont très bas, sans rapport avec les réseaux fixes et mobiles que nous connaissons. Il y a donc un foisonnement d’acteurs, mais aussi de technologies, chacun cherchant à s’imposer en investissant vite et en nouant des partenariats. Il y aura des réussites, des regroupements, et des disparitions. Même les grands opérateurs n’hésiterons pas à supprimer ce qui n’aura pas rencontré le sujet, souvenons-nous du be-bop pour France Telecom, ou plus récemment des réseaux WiFi qu’Orange avait proposé aux communes pour les fermer quatre ans après en invitant à passer au satellite. La France est plutôt en avance au niveau mondial, en ayant poussé l’alliance LoRa côté opérateurs classiques, ou avec Sigfox qui se développe très vite à l’international. Mais tout le monde se met de la partie, de Intel à Huaweï, et c’est bien le marché mondial qui désignera les vainqueurs.

Cette situation est riche d’opportunités, mais donc aussi de risques, car si vous investissez dans un réseau de capteurs, il faudra qu’ils puissent communiquer avec le ou les réseaux qui persisteront. Cette question se pose à tout le monde, et par exemple la SNCF qui envisage d’équiper chacun de ses caténaires en capteurs, pour prévenir les ruptures qui coûtent extrêmement cher, se pose la question de capteurs pouvant adresser plusieurs réseaux.

Adresser plusieurs réseaux, c’est aussi se donner la possibilité d’être moins dépendant de la stratégie des acteurs qui cherchent à se rémunérer non pas sur l’accès à leurs réseaux, mais sur la collecte et le traitement des données. Là aussi, il y a des approches et stratégies différentes, avec des solutions plus ou moins propriétaires, qui vous donneront moins ou plus d’autonomie, et qui au total vous couteront plus ou moins cher. Une offre entièrement packagée sera rassurante à court terme, mais une offre segmentée, qui vous permet de monter ou descendre en degré d’intégration verticale, sans doute plus intéressante à moyen/long terme.

Les questions sont donc nombreuses :

-       quels bénéfices pour l’environnement, la gestion de l’eau, la qualité de l’air et des sols, le bien-être animal, et bien sûr pour la production

-       quels bénéfices pour la productivité, en face des nouveaux coûts d’investissement et d’exploitation

-       quels choix techniques pour les capteurs, l’accès aux données etc ?

Nul doute que pour tout ceci, des retours d’expériences, des échanges comme ceux d’aujourd’hui seront indispensables."