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TV sur ADSL : service innovant ou renforcement des positions dominantes ? Janvier 2004

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Les lancements très médiatisés d'offres de télévision par ADSL marquent-ils un bouleversement du secteur de la télévision payante et du haut débit ? La technologie fonctionne, mais, comme toujours, c'est surtout le jeu des acteurs qu'il faut observer. Si la TV sur ADSL n'a pas décollé dans d'autres pays, il faut noter l'alliance franco-française des trois numéros un de leurs secteurs respectifs : France Télécom, TF1 et Alcatel. D'autant qu'ils ont été adoubés par le gouvernement, bénéficiant de son parrainage et de son silence sur les aspects réglementaires.

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Free, franc tireur

Quelques semaines avant sa mise en bourse, Free a réussi une opération exemplaire, au moins du point de vue de la communication. Premier à se lancer en vraie grandeur, avec une offre ‘gratuite', il a fait la pige aux ‘grands' dans ce domaine comme sur les segments que l'entreprise a su occuper précédemment.

Cette rapidité à une contrepartie : rien n'est véritablement négocié avec les chaînes, au delà de cette phase de lancement. En amont, les chaînes doivent trouver des accords avec les producteurs et ayant droits. Pour la diffusion, il n'est guère envisageable que Histoire ou RTL9 prétendent se faire rémunérer sur le câble et soient gratuits sur l'ADSL, même celui d'un opérateur qui s'appelle "free" !

De plus, le marché français des chaînes payantes est largement dominé par deux distributeurs, Canal Sat et TPS, qui ont leur propre volonté de distribuer par l'ADSL les produits et bouquets du satellite. Et en aval, d'autres accords sont à trouver avec les ayant-droits (sociétés d'auteurs...).

De même, techniquement, Free joue dans les limites basses, en opérant sur des débits démarrant à 1 Mbit/s (2 en zone dégroupée). Sa logique principale est clairement que l'image soit un ‘plus' pour le client par rapport au produit de base, l'accès haut débit, de même que la téléphonie sur IP.

France Télécom, d'une pierre quatre coups

Le choix de France Télécom, c'est de se présenter comme un transporteur technique, qui apporte le signal jusqu'au téléviseur, indépendamment de l'internet à haut débit, sur une cible de clientèle plus traditionnelle. ‘MaLigne TV' n'est pas commercialisée par Wanadoo mais par FT, et elle ne comprend pas d'accès à internet.

Techniquement, elle se base sur un DSLAM vidéo qui utilise une bande passante de 4,5 Mbit/s pour diffuser un canal en MPEG2, jusqu'au boîtier raccordé au téléviseur. Le cryptage et la sécurisation du réseau offrent une bonne sécurité aux chaînes. Il est envisagé de faire évoluer la technique dans les deux ans pour pouvoir passer deux canaux simultanés, à 2,5 Mb/s, avec des signaux encodés en MPEG4. FT ne se pose pas en distributeur de services à cette occasion : c'est TPS qui garde sa relation avec le client final abonné, et qui compose son bouquet, commercialisé actuellement pour 21 euros/mois en plus des abonnements à FT (forfait ‘MaLigne TV' de 16 euros/mois, plus l'abonnement à la ligne téléphonique).

Pour FT, cette formule offre un quadruple avantage. Elle conforte l'abonnement à la ligne principale, au moment où des clients l'abandonnent au profit du câble et de la téléphonie mobile. Elle concurrence le câble, seul compétiteur important sur la boucle d'accès grand public. Elle génère un revenu d'abonnement récurrent. Enfin (surtout ?), elle s'oppose au dégroupage : impossible de partager la ligne. Seule inconnue : l'équation financière. Le boîtier représente environ la moitié du coût, il faut aussi payer le DSLAM, le transport du signal jusqu'à celui-ci, la commercialisation... Mais, vu les avantages stratégiques ci-dessus, la marge n'est peut-être pas déterminante.

Reste aussi à voir quels autres services FT amènera sur ‘MaLigne TV'. La vidéo à la demande est déjà prévue. L'accord avec TPS sera-t-il ouvert à d'autres distributeurs ?

Peu de législation, pas de régulation

TPSL profite de la non retranscription des directives européennes pour se développer dans un certain vide juridique (que des recours pourraient toutefois occuper...). Les régulateurs semblent aussi pris de court. Quand le numéro 1 des télécoms s'associe avec le numéro 1 de l'audiovisuel, avec l'appui du numéro 1 des équipements de réseaux, n'y a-t-il pas quelques risques pour la concurrence et le pluralisme ?

Faute d'outils juridiques sûrs, les régulateurs laissent faire, en espérant pouvoir intervenir si cette offre captait des parts de marché importantes : pour eux, il n'y a pas besoin d'intervenir au démarrage d'un ‘service innovant'.

France Télécom et TPS avaient affiché des objectifs modestes : 300.000 abonnés en 5 ans. Il est vrai que la modestie, c'est bien la qualité partagée par Thierry Breton et Patrick Le Lay. Il est vrai aussi que le marché global de la télévision payante a une croissance faible depuis plusieurs années.

Duopole

L'autre grand de l'audiovisuel, Canal+, annonce de son côté un accord avec Cegetel et LDCom, et est en négociation avec FT. Le déploiement se fera à partir de 2004, annoncé sur les villes de Rennes et Marseille, où l'opérateur du câble n'est autre que... France Télécom Câble.

Le CSA avait déjà entériné (et accentué) le duopole, en regroupant sur deux multiplex chacun les chaînes de TF1, alliée à M6, d'un côté, et de CanalSat, alliée à Lagardère et Pathé de l'autre.

Canal Sat et TPS sont également très impliqués dans une intégration verticale, principalement autour du cinéma et du sport, avec des chaînes premium et des déclinaisons thématiques.

Existe-t-il une place pour d'autres distributeurs, quelle que soit la technique ? Sur la TNT, la réponse donnée par le CSA est négative ; sur le satellite, AB n'a pas réussi sa percée ; les opérateurs du câble ne tenaient que parce qu'il existait deux bouquets concurrents qui avaient besoin de ce support pour toucher un public urbain...

Télé sur ADSL et TNT

L'avantage de la TNT, un jour, sera d'offrir des chaînes gratuites, pour le coût d'un simple boitier (quelques dizaines d'euros) et parfois des travaux d'aménagement d'antennes, donc sans abonnement.

Le hic de la TNT, c'est que le nombre de chaînes gratuites diminue : le service public devait créer 6 nouvelles chaînes, puis 3, il n'y en aura qu'une. Les locales ne sont pas lancées...

Reste Direct 8, NT1, M6 Music, TMC, NRJtv et... La chaîne parlementaire, à moins que le CSA ne relance des appels à candidatures. Ces chaînes seront aussi sur les basiques du câble et sur des offres comme celles de Free, du moins si elles arrivent à se financer sur le marché de la publicité.

Pour la télévision payante, le nombre de chaînes limitées de la TNT est un handicap considérable par rapport au câble, au satellite, et à la TV sur ADSL. La TNT sera, elle aussi, concentrée sur les grandes agglomérations, même si elle débordera aux alentours.

Le désavantage de la TNT par rapport au câble et à la TV sur ADSL, c'est surtout... que la TNT n'existe pas, et que TF1 et M6 feront tout pour que cela persiste, ou qu'elle démarre dans de mauvaises conditions.

Télé sur ADSL et câble

La cible visée est clairement la même que celle du câble : la clientèle des villes. Les autres n'auront pas de DSLAM équipé par FT, et TPS peut déjà les toucher avec la parabole.

FT annonce un déploiement sur 4 millions de foyers dans douze agglomérations d'ici fin 2004, et 10 millions fin 2006. Mais le prix global du service, 37 euros, reste cher, dans un marché qui peine à croître, et le client ne peut pas faire son choix entre les différents bouquets comme sur le câble numérique.

De plus, il ne reçoit qu'un signal à la fois, alors que le basique analogique du câble permet une distribution sur plusieurs postes ou un enregistrement simultané.

Le succès devrait plutôt se rencontrer dans les zones et immeubles où le câble n'a pas été installé. Mais l'offre actuelle, qui s'appelle ‘TPS Prestige', ne pourrait-elle pas aussi se tourner vers des offres plus réduites et moins chères ? La concurrence deviendrait frontale.

Le grand jeu

Le plafond des 8 millions d'habitants qui interdisait le regroupement des opérateurs a disparu. Reste entière la question de la place de France Télécom, qui pèse la moitié du secteur. Sa montée en puissance sur l'audiovisuel par l'ADSL devrait l'inciter à sortir. Sauf à vouloir, en restant, interdire l'arrivée d'un compétiteur déterminé à développer sur le câble la téléphonie sur IP, comme aux Etats Unis.

En France, selon l'IDATE, le marché de la téléphonie fixe pèse encore six fois plus que celui de l'internet.

Là, sur l'ensemble voix+internet+image, serait le grand jeu, beaucoup plus risqué pour les positions des uns et des autres.

Sur le site du CSA : voir cadre juridique de la TV sur ADSL,