Numérique / Territoires

Conférence Territoires connectés de l'Arcep (22 septembre 2022) - Discours de Patrick Chaize Septembre 2022

Monsieur le Ministre, cher Jean-Noël,

Madame la Présidente de l’Arcep, chère Laure,

Mesdames, Messieurs les parlementaires,

Mesdames, Messieurs les élu(e)s,

Mesdames et Messieurs,

 

Je suis très honoré, Madame la Présidente, d’avoir été convié à nouveau à représenter les territoires qui ont encore tant à attendre du numérique, des services qu’il procure bien sûr et pour ce faire, des réseaux d’excellente qualité indispensables pour y accéder.

Mais avant d’exposer nos exigences en matière de qualité et de pérennité des réseaux, vous me permettrez de revenir un instant sur un sujet qui semble connexe, mais que je souhaiterais que chacune et chacun gardent à l’esprit en permanence : l’impact environnemental du numérique.

L’été nous a chaudement rappelé notre obligation d’intervenir rapidement, collectivement, et en profondeur si l’on veut enfin infléchir les tendances qui continuent de nous pousser vers le point de non-retour. Les maisons brûlent –littéralement - et on ne peut plus continuer à regarder ailleurs. Les prévisions du GIEC se confirment et même s’accélèrent.

Chacun des acteurs est ainsi amené à (ré)interroger ses choix stratégiques, techniques et maintenant, énergétiques. On ne peut plus se contenter de verdir un logo, ou de végétaliser une campagne publicitaire ; nous sommes tous amenés à revoir sérieusement nos outils, nos usages et nos pratiques numériques si l’on veut que notre action soit efficace.

L’Arcep a récemment été dotée de nouvelles compétences en la matière, et vous pouvez continuer à compter sur mon soutien pour atteindre les objectifs qui nous sont assignés. Un numérique sobre / responsable / soutenable /… n’est plus une option, quel que soit le qualificatif que l’on voudra bien lui donner. À nous de veiller à ce qu’il soit bien un facteur de progrès de notre qualité de vie, et surtout pas d’aggravation de la situation.

Nous attendons beaucoup du « baromètre environnemental du numérique » que vous mettez actuellement en place. Cet outil devra donc s’appuyer sur des indicateurs robustes, fiables et partagés pour devenir LA référence. Je profite d’ailleurs de cette tribune pour inviter tous les acteurs de l’écosystème à enrichir les réflexions en répondant à la consultation publique en cours.

Les données que vous collecterez annuellement devront porter sur les terminaux. Toutes les études ont montré leur impact prépondérant sur l’environnement, et ce quelle que soit la méthode de calcul retenue. L’intégralité de leurs cycles de vie devra être étudiée auprès des fabricants, depuis l’extraction des matières premières jusqu’à la réparabilité, le reconditionnement et en toute fin, le recyclage des appareils, afin d’en limiter autant que possible le renouvellement.

De la même façon, les réseaux et les centres de données devront être passés au crible, de leur conception à leur exploitation. Je n’oublie pas, à l’autre bout de la chaîne, les utilisateurs : votre baromètre pourrait contribuer à les informer sur les impacts de leurs différents usages, mais aussi à les responsabiliser en tant que consommateurs, au moment de choisir leurs équipements.

Et bien entendu, les territoires prendront eux aussi toute leur part dans cet effort collectif. Un récent décret (lié à une loi que je ne vous présente plus !) vient d’ailleurs d’inviter les communes de plus de 50 000 habitants à définir leurs « stratégies numériques responsables » qui permettront d’atteindre ces objectifs. Il était logique de débuter par les collectivités de plus grande envergure, mais toutes devraient être en capacité d’apporter leur pierre à l’édifice.

Des premiers leviers d’action existent, qui relèvent du simple bon sens pour mieux (oserais-je dire « moins » ?) utiliser le numérique. On voit déjà certaines pratiques évoluer : le visionnage de cette vidéo de chaton est-il vraiment nécessaire ? si oui, pourquoi ne pas le faire en WiFi plutôt que sur les réseaux mobiles ? et encore mieux en chargeant préalablement le fichier, plutôt qu’en streaming,…

Certaines démarches concernent davantage les concepteurs de matériels, logiciels ou sites web, que l’augmentation régulière des capacités techniques associée à la diminution des coûts de production n’incitait pas spontanément à viser la sobriété. L’éco-conception des sites, terminaux et autres services numériques permettrait donc de lutter contre les obsolescences de toute nature, en remettant parfois en cause les modèles économiques sur lesquels certaines industries sont basées.

Il faut aussi sûrement que l’on anticipe cette question environnementale avant de s'engouffrer dans des choix irréversibles. Je pense notamment aux métavers qui auront des impacts forts sur nos réseaux et leur fonctionnement.

Il aurait peut-être également fallu penser à éco-concevoir le raccordement FttH. Parce que refaire tous les 4 matins les armoires, les PBO, les jarretières, tous ces déplacements de techniciens pour ne pas résoudre les problèmes, toutes ces réparations qui ne durent que quelques semaines voire quelques jours avant que le réseau ne soit à nouveau dégradé – pour rester politiquement correct – ont aussi un fort impact environnemental en plus du reste…

De charte en charte, de déclarations d’intentions en promesse de changement, d’annonces sans lendemain à des annonces de lendemains qui chanteront un jour, rien ne change sur le terrain. J’ai donc décidé de déposer une proposition de loi à visée coercitive. Son but : assurer la qualité et la pérennité des réseaux de communications électroniques à très haut débit en fibre optique, et mieux protéger les consommateurs. Déjà signée par plus du tiers de la Haute-Assemblée (et ce chiffre augmente tous les jours), cette proposition enregistrée à la Présidence du Sénat le 19 juillet devrait être prochainement discutée en séance publique ; j’espère que le Gouvernement saura la défendre pour que son vote aboutisse rapidement tant la situation devient brûlante, si j’ose dire, urge sur une bonne partie du territoire.

Cette proposition de loi prévoit de renforcer également les pouvoirs de l’Arcep en la matière, puisque je considère que vous êtes en la manière un peu démunie. Mais attention : un grand pouvoir n’implique pas seulement de grandes responsabilités, il implique d’en user ! Sinon, c’est le règne de l’impunité. C’est d’ailleurs pour vous faciliter le travail que j’avais poussé dès 2018 un amendement à la loi ELAN visant à vous simplifier la tâche de faire respecter les engagements L.33-13. Si ce pouvoir de sanction facilité devait ne pas être utilisé, les Françaises, les Français et leurs représentants n’entendront alors aucune excuse.

Or de l’autorité, il en faut, et dans tous les domaines. Retards sur les engagements L.33-13 donc, mais aussi respect de la réglementation sur l’architecture et le dimensionnement des réseaux FttH, dérive du mode STOC… Rien ne serait pire pour nos concitoyens qu’une Autorité sans autorité. Taper du poing sur la table n’a jamais fait peur.

A ce titre, vous me permettrez de profiter de cette tribune pour évoquer un dernier sujet, celui du New Deal mobile. Ce dispositif, que nous soutenons depuis son origine, a permis d’amener ou d’améliorer la couverture sur de nombreux territoires. Nous saluons avec plaisirs ces progrès de couverture de plus en plus visibles. C’est un bravo sincère que je lance à chacun des acteurs de ces avancées. Mais je pense que l’on a fait le plus facile et que l’on rentre maintenant dans le dur. En effet, de nombreux sites provenaient de programmes antérieurs (comme la plateforme France Mobile), ou étaient directement proposés par les opérateurs au travers de leur « atlas », ce qui a facilité le respect des premières échéances.

La montée en régime des équipes-projets locales, dont je salue les efforts permanents, a ensuite contribué à alimenter les arrêtés ministériels successifs avec de nouveaux sites qui n’étaient pas dans les radars des opérateurs. Notre inquiétude concerne désormais les arrêtés pris depuis le début de l’année 2020, dont un tiers était déjà en retard de livraison au 30 juin dernier.

Cette tendance nous fait craindre d’importants retards à venir sur une autre échéance importante du New Deal mobile : la généralisation du passage à la 4G de la totalité des sites 2G et 3G. Certes, l’objectif global est déjà atteint à plus de 90% en moyenne (avec des disparités sensibles), et la date butoir initialement fixée au 31 décembre 2022 bénéficie d’un report de quelques semaines « grâce » à « l’ordonnance délais ». Mais la tendance affichée ces derniers mois ainsi que les premiers éléments de réponses fournis par les opérateurs ont tout lieu de renforcer notre inquiétude.

Je n’ose imaginer, Monsieur le ministre, Madame la Présidente de l’Arcep, que les opérateurs ne soient à l’heure aux rendez-vous que l’État leur a fixé il y a près de 5 ans maintenant, en contrepartie d’une ristourne sur les licences qu’on peut évaluer entre 3 et 5 milliards d’euros.

Comme pour la planète et l’impact environnemental du numérique, nos réseaux FttH et mobile méritent que l’on prenne grand soin d’eux. Les Français ne comprennent plus les hésitations des autorités alors que celles-ci ont toutes les clefs en main pour résoudre leurs problèmes.

Le temps n’est plus aux paroles - même si elles sont dites sur un ton martial - mais aux actes. Osons agir ensemble pour les réseaux des générations futures.

Je vous remercie.