Numérique / Territoires

Convergence "must carry" et intégration verticale Mars 2004

La fameuse '"convergence"' des réseaux se basait sur le fait que les services devenaient accessibles par toutes sortes de réseaux. Cette ouverture était censée faciliter l'accès de nouveaux entrants. Pour y résister, les acteurs dominants militent pour davantage d'intégration verticale. La loi doit-elle leur prêter main-forte ?

Les articles 58 et 60bis du projet de loi sur les communications électroniques, (futurs 34-1 et 34-4 de la loi de 1986) modifient, l'équilibre entre chaînes et distributeurs. Auparavant, toutes les chaînes hertziennes étaient reprises par les réseaux câblés. Le texte amendé à l'Assemblée donne le droit aux chaînes hertziennes gratuites d'exiger de bénéficier d'une reprise par n'importe quel distributeur. Mais il ne donne aucun droit pour les distributeurs de pouvoir distribuer ces chaînes auprès de leurs téléspectateurs. Ceci est lourd de menaces, tant pour la télévision que pour les télécoms. Cette mesure asymétrique va aggraver l'intégration verticale, dans un contexte où les chaînes dominantes ont créé leur propre distribution, tant pour elles-mêmes que pour les nombreuses chaînes thématiques qu'elles éditent.

Chaînes et distributeurs : l'intégration verticale

Les plus gros distributeurs de services en France sont des filiales des 3 chaînes hertziennes analogiques privées, TF1, M6 et Canal+, qui concentrent encore à elles seules près de 50% de l'audience cumulée. Les groupes de ces chaînes détiennent également 40 des 93 chaînes francophones conventionnées, et 13 des 22 chaînes autorisées en numérique hertzien. Il est donc nécessaire d'équilibrer les rapports entre distributeurs intégrés et distributeurs indépendants, en ne retirant pas à ces derniers la capacité de distribuer les chaînes qui font la moitié de l'audience aujourd'hui.

Ces chaînes contrôlent en effet déjà la distribution satellitaire. Sur l'offre de base de Canal Sat (Canal+), un tiers des chaînes dépend du distributeur, et sur TPS (TF1 et M6), la moitié seulement des chaînes du service de base sont indépendantes du distributeur (source : Direction du développement des medias).

En hertzien, ces chaînes contrôlaient déjà l'analogique. Elles retardent aujourd'hui le lancement de la TNT. Cela verrouille ainsi non seulement la télévision payante, mais aussi les nouvelles chaînes de télévision gratuite.

Sur l'Adsl, Free n'a pas le droit de distribuer ces chaînes ; pour les regarder sur le même support, sans construire une usine à gaz de raccordements et de télécommandes, un téléspectateur devra s'abonner au bouquet Adsl de TPS ou de Canal.

Il reste le câble. Sur l'offre de base des régies et de FTC, 100% des chaînes sont indépendantes du distributeur, 96% chez Noos et 85% chez Numericable : le câble est le seul distributeur offrant une réelle diversité de choix aux consommateurs.

Câble menacé, multiplication des rateaux et paraboles

Les dispositions envisagées donneraient tout pouvoir aux chaînes leader, en agitant la menace d'un retrait d'autorisation de diffusion. Elles pourraient ainsi dicter au câble leurs conditions de reprise des chaînes payantes qu'elles contrôlent, tant sur la composition des bouquets que sur le prix.

Cette menace n'apparaît pas virtuelle au législateur, puisqu'un autre amendement conjoint a prévu que les opérateurs de câble, s'ils sont privés de ces chaînes pour leurs abonnés individuels, seront néanmoins obligés de les offrir aux services d'antenne des immeubles collectifs ! Les opérateurs seraient tenus de crypter les signaux ou d'installer des filtres pour deux millions et demi de foyers abonnés. Aux téléspectateurs ensuite de remettre des antennes rateaux... Ou bien d'installer des paraboles sur leurs toits et leurs balcons en abandonnant le câble.

La menace est d'autant plus réelle que désormais TPS et CanalSat, qui étaient obligés de composer avec les opérateurs de câble pour atteindre les foyers urbains avec leurs chaînes (LCI, I Télévision, Eurosport, Sports+, TF6...), ont une solution alternative en distribuant leurs propres bouquets à travers l'Adsl

Le haut débit moins attractif.

Sur les réseaux de distribution, le câble représente aussi le seul réseau de communications électroniques alternatif à celui de France Télécom disponible pour aller jusque dans les foyers. Cette diversité est indispensable à une émulation dans le domaine du haut-débit : les taux de pénétration sont les plus élevés, et les prix les moins chers, dans les pays où cette alternative existe. Inversement, la position de France Télécom serait renforcée, car son accord avec TPSL lui permet d'être le seul à offrir les chaînes leader d'audience, TF1 et M6, et, en prime, d'interdire le dégroupage sur la ligne ainsi occupée, en écartant toute perspective de rentabilité pour un fournisseur d'accès à internet alternatif.

Cette disposition impacte également le dégroupage et les réseaux de collecte haut-débit, en diminuant l'attractivité des opérateurs alternatifs qui les empruntent. Ceux-ci perdraient un des trois grands marchés, celui de la télévision, en ne pouvant retransmettre ni les chaînes payantes des distributeurs intégrés, ni, surtout, les chaînes gratuites.

Un duopole dans l'audiovisuel

Le risque est aussi patent pour l'ensemble du PAF : si toute la distribution est tenue par deux plate-formes, sur l'ensemble des technologies (satellite, filaire, hertzien numérique et analogique), les chaînes indépendantes seront soumises au bon vouloir de leurs concurrents. Incapables d'accéder au téléspectateur sans passer sous les fourches caudines des deux distributeurs, comment pourraient-elles peser sur leurs rémunérations ou leur place dans le plan de service ? Résultat, ces groupes pourraient prolonger leur position dominante, au moins sur les grands domaines : sport, cinéma, information, jeunesse, documentaire... Resteront les thématiques de niche (cuisine, humour...), mais est-ce là que le pluralisme est important ?

La loi, la régulation et la concurrence

Certes, il est possible de renvoyer tous ces risques aux arbitrages du Conseil de la concurrence ; Free, qui n'a même pas obtenu une proposition de TF1 et M6 depuis 6 mois, l'a fait.

Mais n'est-il pas, dans ces secteurs, plus normal de fixer les grands principes dans la législation, avec une mise en œuvre des deux autorités de régulation ?