Inclusion numérique : équipements, usages ... et après ? Décembre 2013
Le Conseil national du numérique a remis son rapport sur l’inclusion numérique lors du colloque de l’AVICCA. Il invite les collectivités à penser leurs politiques dans une société numérique.
Les problématiques se déplacent à la vitesse du numérique
Depuis sa naissance le réseau de communication Internet porte en lui des promesses de changements sociétaux, d’une société plus ouverte, plus démocratique, plus transparente et moins hiérarchique, une société où l’on pourrait travailler, apprendre, échanger, participer à la vie de la cité quel que soit son lieu d’habitation. Rêves de technophiles ? Sans doute. Utopie ? Non, la technique est neutre, elle est ce que l’on en fait. « Le numérique ne crée rien tout seul, il accélère, permet de nouvelles pratiques, de nouvelles postures, de nouvelles proximités mais celles-ci doivent être voulues.»
Les acteurs publics sont engagés depuis quelques décennies dans des politiques d'adaptation de leurs administrés à ce que l'on appelait alors la "Société de l'information". Une politique en deux phases. La première a favorisé l'équipement. On incitait à s’équiper et on mesurait, le nombre d'ordinateurs dans les administrations, les entreprises et les foyers. La seconde, celle des usages, visait à l'apprentissage des logiciels et en particulier du mail et de l’Internet. Peu importe les outils, il fallait les utiliser. Puis l'environnement technique, la déferlante des smartphones et tablettes, la baisse des coûts, la simplification des interfaces et l’ingéniosité servicielle et commerciale des « GAFA (Google, Apple, Facebook, Amazon) et Compagnie » ont poussé aux usages par le plus grand nombre. Le risque n’est plus d’être exclu du numérique, mais davantage d’être absorbé par lui. Alors, exit le rôle des collectivités ? Non bien au contraire.
Culture numérique pour tous
Le numérique a envahi notre quotidien, le téléphone bien sûr (pardon, le smartphone !), mais aussi la caisse enregistreuse, le GPS, les échanges avec l'administration, la prise de rendez-vous chez son médecin… Pour le CNNum, on ne peut se satisfaire que Mme MICHU sache lire la météo sur son smartphone ou qu’elle alimente son compte Facebook. Les politiques publiques ont eu parfois tendance à considérer le numérique comme un champ à part. Or la société est devenue numérique. Il en est ainsi pour le changement d’orientation concernant l’éducation nationale : avant il fallait faire entrer le numérique à l’école, aujourd’hui il faut faire entrer l’école dans le numérique. Plus globalement qu’en début d’apprentissage, l’enjeu est de dépasser l'usage, l'acquisition de la compétence instrumentale pour appréhender son environnement, pour pouvoir produire, créer, que tout le monde possède une culture numérique, ce que le rapport nomme « littératie ».
Littératie numérique et conscience des changements sociétaux
La littératie numérique est la "capacité à disposer d'un éventail de compétences (techniques, traitement et analyse de l'information, communication...) qui permettent d'utiliser pleinement les outils numériques afin d’atteindre ses buts personnels et d’étendre ses compétences et capacités ». Qui sait aujourd'hui gérer son identité numérique ? La littératie numérique doit être introduite partout, à l'école et en formation continue, auprès des employés et des cadres, tous doivent être formés, des plus exclus aux plus experts. Si l'accès physique est un pré-requis indispensable, les objectifs des politiques publiques doivent repenser l'accès à la connaissance, au travail, à la participation citoyenne ou la construction des liens sociaux. La société sous l’influence de la numérisation change fortement et avec elle la valeur de nombreux biens et services. La culture numérique est associée à la conscience des changements sociétaux à l’oeuvre. Les auteurs du rapport insistent sur le « co » . Avec la numérisation, il n’a jamais été aussi facile de participer, de co-construire, de co-créer, co-designer.
Utiliser le pouvoir d’agir et réintroduire les médiations humaines
Le numérique possède des qualités intrinsèques qu’il convient d’utiliser comme levier de transformation et de réduction des inégalités. Les outils numériques nous promettent depuis longtemps une société décloisonnée, moins hiérarchique et plus innovante. La publication de ses contenus sur internet ou par SMS, les imprimantes 3D, les FabLab... étendent ces pouvoirs d'agir. Les politiques publiques doivent s'appuyer et encourager ce pouvoir d'agir pour développer leurs stratégies.
Presqu’à contre courant dans un monde où l’intermédiation semble obsolète, tellement les outils semblent faciles à utiliser, le rapport souligne l'importance des médiations humaines. En dématérialisant à outrance, le public et le privé ont détérioré leurs relations avec leurs usagers, les empêchant parfois d'accéder à leurs services. Le rapport plaide pour une réintroduction de ces médiations humaines. Ces lieux de médiations, qui ne sont pas des lieux numériques mais des lieux de proximité et d’échanges sont impossibles à mettre en place sans une contribution active des territoires. Certains en sont aujourd’hui riches, avec un véritable maillage, d’autres quasi vides. Les auteurs ont souligné la richesse des expériences de terrain rencontrées lors de la rédaction du rapport. Cette richesse doit être valorisée et mise en réseau. Bien des EPN n’ont pas attendu le rapport du CNNum pour évoluer, en revanche l’absence de continuité et de reconnaissance leur est préjudiciable voire fatale.
Un rapport pragmatique
Le rapport propose des recommandations accompagnées de fiches pratiques (objectifs, actions à mettre en œuvre, moyens d'évaluation, acteurs concernés et exemples). Il souligne une forme d'urgence à remodeler, à apporter de la souplesse, de l’adaptabilité, à décloisonner, à faire disparaître les hiérarchies. S’il n’y a pas d’acteur majeur, les collectivités territoriales sont souvent citées pour les actions qu’elles peuvent instaurer ou impulser :
- Rendre effectif le droit d'accès à internet et à ses ressources essentielles. En terme d’actions, cela signifie rendre les sites web publics accessibles à tous (respect des standards et interfaces cohérentes), ouvrir les données publiques et les API, mettre en place des médiateurs joignables par téléphone, appliquer des tarifs sociaux d’accès à l’Internet fixe ou mobile, accompagner les publics les plus éloignés en s’appuyant sur les associations qui leurs sont proches.
- Généraliser la construction collective (ou co-construction, co-design) des politiques. Les outils numériques permettent d'agir et de participer à la construction des politiques. Celles-ci doivent être plus souples, plus « agiles », en impliquant fortement les futurs usagers à tous les stades, de la conception à la réalisation. Pour outiller le pouvoir d'agir, il faut multiplier l'ouverture des données publiques : on pense bien sûr à l’Open Data mais également aux autres contenus (procès verbaux, délibérations, dossiers, rapports…), en facilitant leur lecture par une contextualisation. Les lieux où se déroulent les débats publics, où les citoyens participent ne sont pas forcément ceux organisés par les pouvoirs publics. Il faut aller chercher la participation des citoyens là où elle existe.
- Ré-introduire des médiateurs humains. Le rapport invite à une réinvention de la médiation à l'heure numérique en s'appuyant sur des structures existantes (espaces publics numériques, maisons de services publics). Un encart est consacré aux espaces publics numériques. Il propose de symboliquement les renommer « Espaces de médiations et d'innovations sociales (EMIS) », et de redéfinir leurs objectifs stratégiques : accompagner les publics de manière souple, inciter à devenir des lieux d'échanges où la technique est présente mais aussi constituer un lieu de formation des autres animateurs du territoire.
- Eduquer les élus et décideurs de l’administration aux enjeux du travail coopératif, de la BigData, des MOOC (…) et aux changements économiques, sociaux et organisationnels qui les accompagnent. La culture numérique n’est pas seulement pour les autres, il faut former les décideurs et les élus : les mutations en cours doivent être exposées et décryptées même au plus haut de la hiérarchie administrative. L'absence de compétences sur la mutation de la société réduit la question numérique à des enjeux techniques ou d'opportunités économiques.
Pour les auteurs du rapport, toute la société a commencé de changer et la mutation est loin d’être terminée. Il ne suffit pas d’utiliser un outil numérique, il faut se penser dans ce bouleversement global. L’inclusion numérique n’est pas une politique à mettre en œuvre pour ceux qui seraient à l’écart, mais un ensemble d’actions pour construire l’avenir au lieu de le subir.