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L'autorité de la concurrence met un petit coup de pression sur le régulateur Mars 2011

Il existe un jeu subtil entre l'Autorité de la concurrence et l'ARCEP. Globalement, l'Autorité de la concurrence vise à la disparition progressive de tous les régulateurs sectoriels. La situation objective dans les réseaux de télécoms, qui passe lentement d'un régime de monopole à une situation effective de concurrence, repousse assez loin cette perspective, à laquelle le récent avis de l'Autorité consacre un long développement.

Partage des pouvoirs et des rôles

En attendant cette lointaine disparition, les deux autorités se partagent la tâche. En termes de pouvoirs spécifiques, l'Autorité de la concurrence peut notamment sanctionner ex post les entreprises qui ont des pratiques anti-concurrentielles, avec un champion toutes catégories dans l'ensemble des acteurs de l'économie, France Télécom. L'ARCEP formule des remèdes ex ante, suite à des analyses de marchés, pour prévenir des problèmes concurrentiels, remèdes qui sont soumis à l'avis de l'Autorité de la Concurrence.

Les deux autorités indépendantes ne diffèrent pas que dans leur pouvoir. L'ARCEP se veut responsable du dynamisme du secteur, ce qui l'amène parfois à formuler des "compromis acceptables" avec les principaux acteurs, comme celui sur la taille des points de mutualisation. Le régulateur semble privilégier une vision du jeu entre des gros acteurs du fixe et du mobile, stables, connus, sur lesquels elle a des moyens d'action. Comme l'avait déclaré le Président sortant de l'ARCEP, "L’objectif du régulateur est de permettre l’existence de quelques acteurs significatifs (trois ou quatre) pérennes, de s’assurer que les barrières à l’entrée demeurent faibles et de vérifier que le marché est raisonnablement concurrentiel". L'Autorité rappelle en revanche les risques d'oligopole de cette situation. Cette configuration est aussi préjudiciable aux collectivités, du fait de leur cantonnement au rôle d'opérateurs de gros face à un nombre limité et stable de clients puissants qui se partagent le marché. Par ailleurs, les analyses de marché, qui fondent les décisions du régulateur, ne sont pas une science exacte, et les possibilités de contestations et recours risquent de paralyser ou ralentir les investissements, d'où un certain pragmatisme nécessaire, qui peut parfois choquer.

Mise à part l'existence même du régulateur, il peut donc exister des divergences d'appréciation sur tel ou tel sujet entre l'ARCEP et l'Autorité de la concurrence, mais le plus souvent on constate une sorte de partage des rôles. L'Autorité joue souvent le rôle du méchant sanctionneur, permettant à l'ARCEP de tenir celui du gentil régulateur, et d'appuyer ainsi ses décisions auprès des acteurs. Et de toute façon, des décisions divergentes des deux autorités indépendantes rendraient la situation inextricable.

Un avis de l’Autorité qui prend date

L'Autorité a récemment publié un avis sur les récentes analyses de marché de l'ARCEP, avec notamment une clause de rendez-vous pour instaurer une régulation asymétrique sur le très haut débit et une pression pour aller vers une séparation fonctionnelle de l'opérateur historique.

La clause de rendez vous à dix-huit mois permettrait d'évaluer l'efficacité du dispositif de régulation du déploiement de la fibre optique, au lieu d'attendre l'échéance des trois ans du cycle habituel. "Si, à cette occasion, il apparaissait que les possibilités d'investissement des différents opérateurs dans les réseaux étaient insuffisantes ou que les consommateurs disposaient d'une liberté de choix trop réduite, la régulation pourrait favoriser une concurrence par les services en imposant, de manière plus large qu'actuellement, la fourniture d'offres de gros d'accès à la fibre optique". Cette formulation révèle deux interrogations :

  • sur le modèle choisi par le gouvernement au sujet du programme national Très haut débit, déjà formulée à l'occasion d'un avis rendu sur ce programme. Jusqu'où, dans le territoire, le modèle produira ses effets ? L'Autorité avait cru bon de noter alors que d'autres choix auraient pu être opérés
  • sur la "régulation symétrique" choisie par l'ARCEP pour déployer les réseaux FTTH (hors fourreaux et infrastructures de l'opérateur historique), sachant les fortes inégalités entre les acteurs. D'autres pays choisissent des options différentes, comme l'Angleterre, avec un opérateur historique qui s'est lui même séparé au niveau fonctionnel, et une régulation axée sur une offre activée. Comme le relève l'Autorité dans son avis, l'ARCEP agit ainsi « par opposition au cadre communautaire de l’analyse des marchés qui permet d’imposer des obligations « asymétriques », c’est-à-dire s’imposant aux seuls opérateurs puissants sur leur marché »

Pour la séparation fonctionnelle, l'Autorité invite l'ARCEP à entamer les travaux préalables à l'utilisation éventuelle d'une obligation de procéder à cette séparation des activités de France Télécom. Il s'agit de distinguer "entre les activités qui resteront durablement en monopole et celles qui relèvent du champ concurrentiel". Une telle séparation diminuerait le rôle de l'ARCEP, allant dans le sens de l'application du droit commun de la concurrence dans ce secteur. L'Autorité note qu'en France, "Parmi les industries de réseaux régulées, le secteur des communications électroniques est celui pour lequel les mesures de séparation prévues à ce jour sont les moins fortes, puisqu’elles se limitent à la séparation comptable".

C'est aussi une pression mise sur France Télécom pour ne pas abuser de sa puissance dans la phase actuelle. En effet, FT s'est toujours montrée hostile à ce principe de séparation, comme l'a encore rappelé son nouveau Président à l’occasion de cet avis. Classiquement, FT plaide sur les investissements qu'il va consacrer dans les réseaux, et aujourd'hui à la fibre pour lutter contre cette idée.

La menace de séparation, quoiqu'encore peu crédible, vise donc autant à faire évoluer l’ARCEP qu’à dynamiser FT sans qu'il soit trop tenté d'étouffer ses concurrents. Enfin une séparation fonctionnelle aurait des conséquences positives en matière de concurrence, mais ne réglerait pas la question de l’aménagement du territoire, qui nécessiterait plutôt une séparation structurelle de la boucle locale, sous maîtrise publique (voir le communiqué de l’AVICCA).