Numérique / Territoires

Le 1425-1 dans l'incertitude Mars 2004

La loi sur la confiance dans l'économie numérique vient en discussion au Sénat les 6 et 7 avril. Pour le rôle des collectivités dans les réseaux et services, la Commission des affaires économiques a décidé... de ne rien décider, et de renvoyer à la discussion en séance. Le compte rendu de la commission ne reprend d'ailleurs rien des 45 minutes de débat qui ont eu lieu !

Autant dire que tout peut arriver.

Trois scénarios sont possibles, du pire au meilleur.

  • des amendements de dernière minute peuvent surgir, qui videraient le texte de sa substance, et le débat sur le fond, qui traverse les partis politiques, peut être occulté par une demande de scrutin public
  • un vote conforme à celui de l'Assemblée peut avoir l'avantage de ne pas donner prise à des arrangements incontrôlables dans une commission mixte paritaire, et donc de maintenir les avancées obtenues à l'Assemblée
  • les Sénateurs peuvent aussi garder l'équilibre adopté à l'Assemblée, tout en supprimant un alinéa juridiquement contestable sur les services.

Rappelons que l'article 37bisA instaure un article L.1425-1 du Code général des collectivités territoriales. Le texte amendé ouvre la possibilité pour les collectivités d'établir et d'exploiter des infrastructures et des réseaux, et de les mettre à disposition des opérateurs et des utilisateurs de réseaux indépendants. L'intervention des collectivités doit se faire en cohérence avec les réseaux d'initiative publique. En ce qui concerne la fourniture de services aux utilisateurs finals, les collectivités ne peuvent le faire qu'après avoir constaté une insuffisance d'initiatives privées (sauf sur les réseaux câblés, où tous les services peuvent être fournis).

Ce texte est satisfaisant, sauf son troisième alinéa (ajouté par amendement) qui précise que : "L'insuffisance d'initiatives privées est constatée par un appel d'offre déclaré infructueux ayant visé à satisfaire les besoins concernés des utilisateurs finals en services de télécommunications'".

En effet, le nouvel article L.1425-1 a pour objectif de développer les services de télécommunications dans les territoires, dans les meilleures conditions possibles. Pour cela, il privilégie l'hypothèse d'un développement par la création de réseaux d'initiatives publiques, qui seront ensuite ouverts à l'ensemble des opérateurs de services privés. Ce schéma devrait fonctionner dans la quasi-totalité des cas.

Cependant, l'initiative privée ne sera pas nécessairement suffisante en tout lieu, en tout temps et pour tout type de services. Dès lors, existe le risque pour certaines collectivités d'avoir contribué au financement d'un réseau qui, d'une part ne rendrait pas les services attendus, d'autre part ne serait pas suffisamment utilisé par les opérateurs pour se rentabiliser. Conscient de ce risque, le texte initial permettait aux collectivités d'offrir des services, sous réserve du constat d'une ''insuffisance d'initiatives privées''.

L'alinéa ajouté modifie considérablement l'équilibre de ce texte, en instituant une forme de constat de carence là où était prévu un constat d'insuffisances d'initiatives privées, au pluriel. En premier lieu, le pluriel de la rédaction originelle permettait d'intervenir si un opérateur était en situation de monopole de fait. Désormais, s'il répond à l'appel d'offre, il pourra continuer à rester seul, alors que l'objectif du texte est bien de stimuler la concurrence grâce à l'initiative publique. En second lieu, la procédure d'appel d'offre rajoute des délais importants, et semble surtout juridiquement inadaptée concernant des services qui doivent être rendus à des tiers (les utilisateurs finals), et non pour les besoins propres de la collectivité.

Au cours du débat à l'Assemblée, Mme Nicole Fontaine, a affirmé que ''une séparation entre réseau et services a déjà été effectuée dans le cadre du plan câble, qui a mis en évidence le risque qu'il y a à séparer l'activité qui concentre l'investissement, et donc le risque financier, et celle qui concentre les bénéfices - les services.'' Malheureusement cette considération n'a été invoquée que pour s'opposer à la demande de séparation des activités réseaux et services de France Télécom. Ce souci de défendre la rentabilité d'un opérateur privé devrait s'appliquer à la défense des investissements des collectivités locales, en n'entravant pas la mise en place d'une offre de services quand elle sera nécessaire.

Aussi, est-il souhaitable de supprimer ce troisième alinéa, et de revenir à l'équilibre initial du texte, qui précise par ailleurs que pour la fourniture de services :

  1. l'ART doit préalablement être informée
  2. les collectivités doivent agir ''dans des conditions objectives, transparentes, non discriminatoires et proportionnées''.