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L'oligopole naturel, le régulateur et les réseaux ouverts d'initiative publique Janvier 2009

A l'issue de son mandat, le Président de l'ARCEP a multiplié les déclarations, notamment sur la 4e licence UMTS ou sur la mutualisation de la fibre. Cela aura peut-être pour effet de baliser l'action de son successeur, mais donne en tout cas une idée de la conception de la régulation du secteur par celui qui en a eu la charge principale.

Cela n'est clairement pas du côté de la régulation postale qu'il faut chercher des éclaircissements, ce secteur ayant à peine été abordé par les discours et interviews, mais du côté communications électroniques.

Durant ces six années, le secteur privé s'est consolidé, et les acteurs publics locaux ont émergé. Le régulateur a pris conscience de leur rôle pour étendre géographiquement la couverture des réseaux et leur ouverture sur leurs territoires, mais n'a pas encore dégagé de philosophie sur l'impact national de ces actions.

Un oligopole sans partage de rente

C'est un constat, le marché reste avant tout national. Le cadre est européen (directives), mais à ce jour le principal effet de cette échelle a été de modifier les relations entre équipementiers et opérateurs. " L'ouverture à la concurrence du secteur des services de communication électronique a eu pour effet bénéfique de sortir les monopoles nationaux de leur face à face avec les équipementiers nationaux et de permettre aux producteurs d'équipements de viser d'emblée l'ensemble du marché européen." (discours du 18/12/08).

Sur ce marché national, l'optimum visé par le régulateur semble être un oligopole naturel raisonnablement concurrentiel.

"Les structures de coûts caractérisées par de fortes économies d'échelle et les investissements importants, que doivent réaliser les opérateurs, conduisent naturellement à une structure de marché oligopolistique. Un marché comptant une dizaine d'acteurs, cela n'existe nulle part dans le monde, ou alors uniquement de façon transitoire. L'objectif du régulateur est de permettre l'existence de quelques acteurs significatifs (trois ou quatre) pérennes, de s'assurer que les barrières à l'entrée demeurent faibles et de vérifier que le marché est raisonnablement concurrentiel. Ce qui compte, c'est que les entreprises ne soient pas en collusion tacite, dans une logique de partage de rente."(interview EuroTMT, 23/12/08, souligné par nous)

Cette vision entraîne une régulation qui se donne pour objectif le développement d'infrastructures multiples là où c'est économiquement possible : "L'Arcep a mené, en cohérence avec les directives européennes, une régulation favorisant l'innovation et l'investissement des acteurs dans des infrastructures en propre. Une fois ces infrastructures déployées, la régulation s'allège pour ce concentrer sur les goulots d'étranglement restants et in fine disparaît".(interview EuroTMT, 23/12/08)

A noter que cette dernière assertion est à relativiser, le futur ex-Président relevant "l'importance croissante" d'une régulation symétrique.

Convergence fixe-mobile et jeu à quatre

Autre élément structurant de la pensée du régulateur, la convergence fixe-mobile. "Bouygues Telecom vient d'entrer sur le marché du haut débit fixe. Il faut que l'inverse soit possible. Iliad et Numericâble doivent être présents dans le mobile pour pouvoir faire des offres convergentes. Car, à l'avenir, la concurrence se fera entre opérateurs intégrés fixe-mobile." (interview Les Echos 24/12/08).

Le spectre hertzien n'est pas extensible, et les trois acteurs en place sont solidement établis. L'existence de deux acteurs dans le fixe (Free et Numericable), qui n'ont pas de licence, est un atout pour dynamiser le marché. La prochaine échéance est cruciale : si le spectre restant n'est pas utilisé pour un nouvel entrant, non seulement le mobile, mais aussi le fixe deviendront moins concurrentiels.

Conséquence logique, le futur ex-Président pousse explicitement à l'attribution d'une quatrième licence et non à un simple partage de la bande non utilisée entre les trois opérateurs existants sur le mobile, alors que le gouvernement semble partagé sur la question. "Je suis favorable à une procédure d'attribution où l'on réserve, dans une première étape, une partie des fréquences à un nouvel entrant."

A noter dans cette vision à quatre, qu'il n'y a pas de place pour cinq grands acteurs, ce qui en condamne un à une certaine marginalité ou à des rapprochements.

Les Chinois, qui ont une conception un peu plus autoritaire de la régulation, ont eu une vision assez voisine, en faisant fusionner les six principaux opérateurs dans trois entités présentes à la fois dans le fixe et le mobile...

Les collectivités acteurs de l'aménagement du territoire et outils d'ouverture du marché

Les mandats de 6 ans de Paul Champsaur, et bien sûr de Gabrielle Gauthey, ont permis la reconnaissance du rôle incontournable des collectivités dans l'aménagement de leur territoire. "Paradoxalement l'apparition de la concurrence et l'affirmation de la régulation sectorielle ont conduit à ce que ces questions se posent en des termes nouveaux. Ceux qui habitent et travaillent sur un territoire ont intérêt à ce que la concurrence se développe sur ce territoire dans la mesure du possible" (discours du 18 décembre). Le changement de perception du régulateur est notable : par exemple, alors que l'ART poussait les collectivités à vendre leurs réseaux câblés, l'ARCEP les pousse à les garder et à les ouvrir.

Le premier bilan dressé par l'Arcep sur l'intervention des collectivités dans le domaine des réseaux ouverts est sans appel : "l'intervention des collectivités est positive", "son impact est significatif sur le développement de la concurrence, contribuant à la baisse des prix" et elle "contribue à la montée en débit des territoires" . En quelque sorte, l'action des collectivités étend à de nouveaux territoires ce que le jeu des acteurs privés et la régulation font sur les zones les plus rentables. L'ARCEP va même jusqu'à appeler à la constitution d'un fonds pour soutenir l'action des collectivités.

Cependant l'ARCEP ne semble pas encore considérer que l'existence massive de réseaux ouverts, y compris dans certaines zones denses, serait une condition favorable pour que les "barrières à l'entrée" mises par "l'oligopole naturel" des télécoms soient durablement abaissées.

Ainsi, alors que de très nombreuses régions et départements étaient lancés dans des projets de collecte en fibres qui favorisaient le dégroupage, le régulateur a poussé France Télécom a lancer son offre de collecte LFO. Le rôle des collectivités est-il de constituer un aiguillon, pour pousser France Telecom ou d'autres à agir, ou bien une réponse structurelle ? Dans ce cas précis, l'ARCEP n'a pas tranché en faveur du rôle structurant des réseaux d'initiative publique. De même sur le très haut débit, le régulateur incite plutôt à la pause de fourreaux en milieu urbain, forcément utilisés par l'oligopole, plutôt qu'à la pose de fibre neutre, qui pourrait être utilisée par d'autres acteurs (opérateurs pour les entreprises par exemple).

Il est vrai que l'action des collectivités est naturellement très progressive. Les procédures sont longues, et il faut du temps pour passer de quelques "pionniers" à une action massive, produisant des effets structurants au niveau national.

Si l'ARCEP sait raisonner en termes "d'espace économique" pour arbitrer, il faut aussi qu'elle prenne en compte "l'espace-temps" des collectivités, qui est initialement plus lent, mais peut produire des effets de plus long terme.

Pour le nouveau Collège, quelle place pour les collectivités ?

La législation a poussé les collectivités à agir sur les offres de gros, alors qu'il aurait été politiquement plus visible d'agir sur les offres de détail. Les collectivités ont joué le jeu. Elles ont, ce faisant, mis en place des contrats de longue durée, dont l'équilibre économique sera très dépendant des décisions du régulateur sur les offres de gros (bitstream pour l'adsl, CE20 pour la fibre etc).

La question se pose a fortiori pour le FTTx. Les investissements nécessaires sont considérables, et les investisseurs doivent avoir une visibilité sur le long terme.

La vision du nouveau Collège de l'ARCEP sur ces questions se dessinera à travers des décisions très concrètes, dès 2009 : le recours à l'offre de fourreaux FTTx pour desservir les immeubles professionnels, ou pour la collecte, les conditions d'accès à la sous-boucle, les points de mutualisation de la fibre en fonction de la densité des territoires ou les exigences de couverture pour les licences du dividende numérique.