Numérique / Territoires

Numericable peut-il révolutionner le triple play ? Octobre 2009

La conférence de rentrée de Numericable a été l'occasion d'un exercice de transparence sur certaines données et de promotion de nouvelles offres et services. L'environnement concurrentiel (TNT et ADSL) met l'opérateur sous forte contrainte, alors que son endettement massif bride son évolution. Les innovations technologiques sont là, mais leur diffusion massive nécessite un effort financier qui n'est pas forcément possible. Le nouveau pari commercial pourrait se résumer en un projet de conquête massif autour d'un "triple play" à 19,9 euros, assorti d'un ARPU plus élevé grâce à de nouveaux services de télévision notamment. Pour réussir, Numericable doit faire face à de nombreux défis en parallèle.

La restauration de la qualité de service

Selon les chiffres présentés, le "churn" (taux de rotation des abonnés) serait passé du catastrophique 27,1% en août 2008 à 18,5% en août 2009. Le nombre de plaintes à la DGCCRF serait passé de 413 à 50 par mois. Ainsi qu'il avait été annoncé, l'effort organisationnel et financier a été versé sur ce sujet, car les coûts commerciaux de conquête étaient effectivement dilapidés dans l'évaporation rapide des abonnés. Le taux de 18,5 est encore jugé élevé, mais il ne faut pas oublier que le câble n'ayant pas une couverture nationale, les déménagements font perdre une bonne partie des abonnés conquis. L'offre Numericable par ADSL a comme unique objectif de récupérer une partie de cette perte en ligne ; aucun chiffre n'a été ni ne sera communiqué par Numericable sur le nombre d'abonnés ADSL.

La prise en compte de la TNT

La couverture de la TNT dépasse désormais 88% de la population, donc près de 100% des zones câblées. Avec son offre gratuite de 18 chaînes, qui ont de plus en plus de notoriété, elle menace le service de base du câble, la télédistribution. 70% des abonnés de Numericable n'ont souscrit qu'à une offre télévisuelle, et certains réseaux ne sont pas encore numérisés.

Environ un million de foyers sont desservis par un "service antenne" fourni par Numericable dans des immeubles, en particulier dans le parc HLM. Ce service est encore analogique en très grande majorité, alors que les équipements des foyers en adaptateurs et téléviseurs TNT progresse très rapidement. Il est donc impératif d'offrir les chaînes de la TNT sur le câble à tous ces habitats collectifs. Jusqu'ici le câble utilisait sa propre norme, DVBc, incompatible avec la TNT, ce qui nécessitait un coffret câble par récepteur. Numericable a décidé de rajouter les chaînes de la TNT (SD et HD) sous la norme hertzienne, avec un déploiement accéléré qui devrait concerner près de 5.000.000 prises en décembre, soit la moitié du parc.

Ce service permet de distribuer les chaînes de la TNT, en simple et haute définition, sur toutes les prises d'un logement, ce qui ne peut être fait dans le cas général pour l'ADSL.

Numericable doit en parallèle faire basculer les gestionnaires de collectifs à son service triple play SUN, qui a l'avantage d'offrir un accès à internet social en plus de l'accès à la télévision numérique. Mais cela passe par des négociations au cas par cas, surtout si cela augmente les charges. Il reste 80% du parc à convaincre.

La conquête massive de nouveaux abonnés et leur montée en gamme

Le premier semestre 2009 se traduit par une stagnation des abonnés TV (3.500.000, y compris les collectifs), une augmentation légère des abonnés internet (3,7%, de 1.000.000 à 1.037.000) et téléphone (1,8%, de 740.000 à 753.000). Rappelons que dans le même temps l'ADSL a gagné 821.000 abonnés : le câble stagne à 5% des parts de marché pour le haut débit.

Les meilleures nouvelles sont la progression de SUN (54%, de 141.000 à

215.000) et des abonnés très haut débit (152.000 à 195.000), sachant qu'il s'agit plus de transformations que de conquête.

Le marché global du triple play connaît un fort ralentissement, car la quasi-totalité des ménages équipés en ordinateurs est abonnée. La croissance du parc sera désormais faible, et pour augmenter sa part de marché, Numericable doit impérativement mordre sur ses concurrents. Pour cela, l'approche est double :

  • une offre tarifaire agressive avec un accès de base à 19,90 euros, comprenant les chaînes gratuites de la TNT en simple et haute définition, internet et la téléphonie. Depuis 7 ans, le triple play est resté au prix initié par Free. Aucun opérateur n'a voulu se lancer dans une guerre des prix, en faisant évoluer plutôt les services (fonctionnalités de la box, contenus, destinations étrangères pour le téléphone illimité...).
  • une offre technique différenciante, avec comme piliers le très haut débit internet, la télévision sur toutes les prises du logement et la haute définition pour la télévision. Numericable propose aussi une "télévision 2.0" en multipliant les portails, moteurs de recherche, services à la demande, personnalisation et interactivité sur l'écran tv. Plusieurs services nouveaux ou accords en ce sens ont été annoncés en cette rentrée.

Numericable a-t-il suffisamment restauré son image pour faire basculer des abonnés à l'adsl ? C'est le coeur du pari lancé, mais il y a d'autres inconnues et réactions possibles des concurrents.

A court terme Free, SFR ou Orange ne se lanceront dans la guerre des prix du triple play, mais ils peuvent aussi développer des offres double-play autour de 20 euros et miser sur la réception hertzienne de la TNT. Une partie de la bataille concurrentielle se livrera aussi autour du quadruple play fixe/mobile. La percée de Bouygues Telecom confirme l'attrait de ces offres, et l'inconnue reste évidemment sur la 4e licence. Numericable évoque l'idée de faire partie d'un consortium candidat, et plus sûrement de se renforcer en tant qu'opérateur virtuel MVNO.

Acquérir une base de clientèle avec un abonnement à 19,9 euros n'a de sens que s'il est possible de la faire monter en gammes. Ca ne sera ni sur la téléphonie fixe, ni sur internet, mais sur la "television 2.0", à commencer par la VOD, en captant une partie du vaste marché des vidéo-clubs. Numericable doit aussi éviter la cannibalisation de ses propres abonnés, pour qu'ils ne descendent pas en gamme. Après avoir augmenté ses tarifs de 2 euros/mois il y a un an, il ne faudrait pas en perdre 12 sur une partie du parc.

L'élargissement de la zone équipée en "très haut débit"

Il faut aussi élargir la base territoriale qui permet à l'offre différenciée du câble d'exister. La diffusion des chaînes en norme TNT va déjà coûter 15 millions d'euros, mais la facture pour passer au très haut débit est beaucoup plus lourde.

Les 3,2 millions de prises qui donnent accès au THD sont pour l'essentiel situées dans les zones très denses, où plusieurs opérateurs peuvent déployer du FTTH, donc avec une dynamique concurrentielle sur la construction de nouveaux réseaux. L'avance temporelle de Numericable pour offrir le très haut débit et la haute définition existe, mais elle n'y sera pas d'une longue durée.

Numericable est aussi présente en "zone 2", là où un réseau FTTH peut se construire sans subvention si les différents opérateurs en sont clients. Si Free et SFR ont intérêt à y aller, France Télécom et Numericable ont intérêt à bloquer ou ralentir pour ne pas dévaloriser leurs réseaux. L'issue des discussions nationales est donc déterminante.

Pour rénover son propre réseau, l'opérateur du câble est aujourd'hui assez bloqué dans ses investissements en propre, car il doit rester dans les "covenants" fixés avec les banques lors du rachat en LBO, en particulier le ratio EBITDA/dette. Des négociations sont engagées pour en fixer de nouveaux. L'autre possibilité est de passer des accords financiers locaux avec les collectivités, ce qui implique de reconnaître leurs droits, en termes de biens de retour et de statut de délégation de service public.

La valorisation de l'infrastructure

Une voie complémentaire est de valoriser l'infrastructure de Numericable ou son savoir-faire pour le passage au THD. Un accord cadre a été ainsi signé avec Foncia pour devenir opérateur d'immeubles pour le FTTH.

Sur la partie "horizontale", trois grandes options sont ouvertes :

  • l'ouverture du génie civil, qui ne crée par beaucoup de valeur
  • une rénovation en gardant la terminaison coaxiale, qui permet d'offrir le THD, mais en sachant que les grands fournisseurs d'accès à internet n'en seront pas clients
  • le passage à un réseau FTTH ouvert aux opérateurs.

Le feu vert de la Commission européenne au projet du département des Hauts-de-Seine, dont Numericable est un des principaux acteurs, est une illustration assez massive de ce troisième cas de figure.