Numérique / Territoires

Où va Numericable ? Janvier 2011

Une polémique a surgi fin décembre sur le nombre d'abonnés à internet chez Numericable. Pour le journal La Tribune, le nombre d'abonnés à la télévision serait passé de 3.500.000 à 3.300.000 en six mois, et une chute proportionnellement plus importante pour internet. Le chiffre d'affaires serait en baisse et les dépenses marketing en hausse, d'où une diminution de l'EBITDA. Le lendemain Numericable réagissait en indiquant "Le nombre d'abonnés internet Numericable est passé de 1,122 million en mars 2010 à 1,168 million en septembre 2010, soit une croissance de 46.000 abonnés internet sur la période".

Numericable n'a pas commenté les autres éléments donnés par le journal.

En tendance longue, le câble ne décolle pas

Pour savoir où va Numericable, il peut être intéressant de regarder non pas les quelques mois écoulés, mais les évolutions depuis la consolidation des différents câblo-opérateurs.

A défaut de chiffres certifiables, on peut partir des enquêtes annuelles réalisées par le CREDOC, sur l'accès à la télévision et l'accès à internet.

L'offre gratuite de la TNT et la télévision sur adsl décollent, mais pas le câble.

Force est de constater une stagnation sur une période longue. En cinq ans, l'entreprise a pourtant connu de nombreuses évolutions qui auraient pu faire décoller les résultats :

  • une consolidation des différents câblo-opérateurs privés dans une seule structure, permettant des économies d'échelle et une communication nationale
  • la restauration d'une certaine qualité de services, après de graves problèmes
  • la numérisation des réseaux
  • le passage au très haut débit sur près de la moitié du parc de prises
  • l'émergence rapide de postes de télévision en haute définition

Le maintien de la position du câble ne serait pas un problème si pendant ce temps les autres supports ou opérateurs n'avaient pas connu une forte croissance :

  • la télévision hertzienne est passée au numérique, multipliant le nombre de chaînes gratuites
  • l'Adsl a lancé massivement la TV sur IP
  • le taux d'accès à internet a augmenté de moitié

En 2005, une offre de télévision élargie n'était accessible en général que par le câble ou le satellite. Le nombre de réseau d'accès s'est multiplié, même s'ils n'offrent pas tous la même qualité (vraie haute définition par exemple).

La position relative du câble s'est donc plutôt détériorée depuis 5 ans.

Valoriser l'infrastructure : des essais à transformer

Le câble, c'est aussi une grande infrastructure dans les plus grandes villes, qui peut être valorisée pour d'autres opérateurs.

Pour son réseau, les indicateurs de qualité pour les offres triple play, contrôlés par l'ARCEP, montrent que Numericable ne décroche plus par rapport à ses concurrents. Ainsi le pourcentage de défaillances réparées dans un délai de 48h (78,5%) est inférieur à celui de SFR (85,1%), mais supérieur à celui de Free (75,1%) et surtout d'Orange (69,2%). A noter toutefois que les réseaux qui n'ont pas été rénovés et offrent seulement de la télévision ne semblent pas faire partie du panel (données ARCEP sur le 3e trimestre 2010).

Le génie civil du câble ne présente plus la même valeur potentielle qu'il y a quelques années, du fait de la régulation de celui de France Télécom. Les chambres et fourreaux de l'opérateur historique sont accessibles à un tarif qui sera bas les premières années pour déployer le FTTH ; et sur les réseaux du Plan câble, dont le génie civil appartient à FT, il n'y a pas ou plus d'exclusivité pour le cablo-opérateur.

Les réseaux câblés, c'est aussi beaucoup de fibres optiques. Elles peuvent être réutilisées pour des opérateurs qui déploient des réseaux PON (d'où quelques accords avec SFR), ou des opérateurs professionnels (avec les sociétés du même groupe, Completel et l'acquisition récente d'Altitude Télécoms).

Enfin, dans certaines conditions, les opérateurs grand public peuvent utiliser le réseau câblé jusqu'à l'abonné, soit en marque blanche (Darty, Auchan), soit en intégrant une partie de leurs propres services (offre de Bouygues Télécom lancée en octobre dernier).

La question est qu'en France, l'accent est plutôt mis sur le FTTH, avec des règles de mutualisation qui peuvent inciter les grands opérateurs à faire le choix de la fibre plutôt que de la terminaison coaxiale. Ainsi l'accord avec Numericable n'a pas empêché Bouygues de signer avec SFR pour déployer un réseau PON.

Revendre, mais à qui ?

Numericable est toujours dans les mains de fonds d'investissements. A qui revendre ? Les acheteurs potentiels les plus évidents sont soit des opérateurs français, soit des acteurs du câble internationaux. La place assez marginale du câble en France ne fait pas monter les prix à la hauteur des espérances de ces fonds.

Le marché grand public des communications électroniques en France se consolide autour de 4 acteurs présents à la fois sur le fixe et le mobile. L'arrivée de Bouygues sur le fixe et de Free sur le mobile ne laisse pas beaucoup de places aux autres petits opérateurs, et les offres quadruple play connaissent le succès.

Reste le marché en tant qu'opérateur de télévision payante. Numericable se présente de plus en plus souvent sous cette appellation, où il est encore numéro deux. Il semble que le gros problème pour émerger sur ce secteur, c'est la position ultra-dominante du numéro un, Canal+, sur le sport, le cinéma et les séries. Le renoncement de France Télécom à devenir éditeur est symptomatique de la difficulté à percer. A chaque fois qu'il est question de vraiment réguler le secteur, les acteurs de la filière du cinéma montent au créneau pour étouffer ces velléités dans l'oeuf. Par contre une ouverture se fait côté sports : en attribuant une chaîne payante de la TNT à la Ligue de football professionnel, le CSA tente d'ouvrir une nouvelle brèche.

Est-il possible à Numericable de devenir un acteur majeur de la télévision payante, à défaut de devenir un très grand de la téléphonie ou de l'internet ? Numericable peut difficilement être un distributeur de contenus agrégés ailleurs que sur son propre réseau. Quant à éditer ses propres contenus, la barre semble bien haute.

Il n'y a sans doute pas de solution miracle pour Numericable. Les exigences d'un meilleur débit pour internet et pour la télévision donnent des atouts à son réseau quand il a été rénové ; l'utilisation du réseau par d'autres opérateurs pourrait donner un peu d'oxygène. A défaut d'un grand boulevard, il existe peut-être un espace entre les grands opérateurs de communications électroniques (avant la généralisation du FTTH) et Canal +. Combien vaut-il ?

L'unification du câble s'est faite en LBO, au prix d'un fort endettement. Aussi une contraction de l'EBITDA pose problème dans un environnement fortement concurrentiel, comme les télécoms, qui nécessitent de forts investissements pour rester dans la course.