Numérique / Territoires

Projet de loi simplification : merci de ne pas oublier l'intérêt public ! Avril 2025

Le volet numérique du projet de Loi Simplification a bénéficié d'un grand nombre d'avancées lors de son examen au Sénat il y a un an. Si certaines améliorations ont pu être apportées en commission à l'Assemblée nationale, d'autres amendements sont clairement régressifs et vont à l'encontre de l'intérêt public. C'est parfois à n'y rien comprendre.

Baux mobiles : l'insécurité complète de la couverture mobile bientôt rétablie par l'Assemblée nationale ?

Dans sa rédaction initiale, une disposition de l'article 17 du PJL Simplification visait à sécuriser les baux mobiles, pour éviter l'apparition de nouvelles zones blanches. Mais la disposition comportait plusieurs points rédactionnels qui soit en annulaient l'efficacité, soit entraînaient des effets de bord préjudiciables pour les collectivités locales propriétaires de parcelles ou de bâtiments accueillant des installations mobiles.
Aussi les sénateurs avaient-ils adopté un amendement visant à redéfinir le champ du dispositif de lutte contre la spéculation foncière sur les emplacements d’antennes-relais, et à mieux protéger les élus locaux de toute pratique préjudiciable tant en matières de couverture mobile que financière.

En en revenant à la rédaction initiale, l'Assemblée nationale maintient donc une rédaction à la fois inopérante pour empêcher les pratiques qui sont l'un des objets même du texte de loi, tout en ayant des répercussions négatives pour les mairies qui accueillent des installations mobiles. C'est à dire vrai incompréhensible.

Loyers des sites mobiles : pourquoi refuser la transparence ?

Autre amélioration proposée par le Sénat : créer un observatoire des loyers. Lorsqu'en 2003, l'Etat et les opérateurs mobiles conviennent du plan "Zones Blanches Centres-bourgs", les collectivités se lancent dans ce dispositif et construisent des pylônes qu'elles mettent à disposition des opérateurs en contrepartie d'un loyer provisoirement fixé à 1€ symbolique par an, le temps que le trafic de téléphonie (on ne parlait pas encore d'internet mobile à l'époque) devienne suffisant pour réévaluer à la hausse le loyer. Mais depuis bientôt un quart de siècle et malgré l'arrivée de la 3G, la 4G puis la 5G et d'un quatrième opérateur mobile, rien n'y a fait, à de très rares exceptions près, les opérateurs continuent encore et toujours de verser un loyer de 1€ symbolique aux collectivités locales pour pouvoir continuer de faire fonctionner leurs antennes sur ces pylônes publics.

Or de plus en plus souvent, à quelques encablures de sites mobiles à 1€ et parfois sur la même commune, un autre site mobile peut générer un loyer conséquent pour le propriétaire, surtout si, semble-t-il, ledit propriétaire est un privé et non pas une collectivité locale. Et face à la situation financière de plus en plus difficile de certaines collectivités, certaines - encore rares - revendent leur pylône. Et là, comme par miracle, le propriétaire privé de l'ancien pylône public récupère un loyer pour les implantations.

Or, outre la perte financière que les loyers à 1€ engendrent pour les collectivités locales, une autre menace, autrement plus lourde, pèse sur elles : l'aide d'Etat illégale. En effet, ne pas faire payer un loyer d'un bien public à sa juste valeur équivaut à verser une subvention indûe à un acteur privé, le tout dans un marché ultraconcurrentiel. Autant dire que ce serait la double peine pour les collectivités concernées.

Aussi, pour objectiver la situation, le Sénat avait-il prévu de confier à l'Arcep le soin d'établir un observatoire des loyers, mais plusieurs amendements sont venus mettre à mal ce dispositif. L'Avicca n'est pas opposée à ce qu'une autre entité nationale indépendante se charge de cet observatoire, l'essentiel étant d'obtenir la transparence qui fait actuellement défaut aux collectivités pour demander aux opérateurs un tarif justifié . En revanche, l'abandon du principe même de celui-ci serait une grave atteinte à l'intérêt public.

 

Raccordements des locaux à la fibre optique : bien mais peut mieux faire

C'est une nouvelle disposition prévue cette fois par l'Assemblée Nationale et qui est effectivement bienvenue car elle simplifierait un problème insoluble sinon pour les propriétaires de maisons neuves et les élus des communes conernées. En effet, depuis la fin du service universel en 2022, chaque opérateur d'infrastructure fibre est responsable, selon la réglementation, d'indiquer au pétitionnaire le point de raccordement au génie civil pour pouvoir le raccorder en fibre optique. Mais si le génie civil construit par le particulier était remis à France télécom puis Orange jusqu'en 2022 afin que l'opérateur historique en prenne la gestion et en gère l'entretien et les réponses aux déclarations de travaux (DT-DICT), la fin du service universel ouvre un no-man's land juridique pour le particulier. Celui-ci se retrouve en effet en théorie "propriétaire" d'un bout de génie civil en domaine public, or pour être propriétaire en domaine public, il faut bénéficier d'une permission de voirie, ce qui est le plus souvent impossible voire interdit. Et quand bien même, difficile d'imaginer un particulier qui répondrait à des DR-DICT.

Bref, cet amendement bienvenu sur le principe reste loin de simplifier tous les problèmes rencontrés pour raccorder en fibre optique les locaux neufs tout comme ceux ne disposant pas de génie civil. De plus, il comporte des effets de bords pour certaines collectivités. Si en l'absence de rétablissement d'une forme de service universel de la fibre, aucun rédactionnel ne saurait résoudre l'ensemble des difficultés juridiques, opérationnelles et financières liées à ces opérations de raccordement, au moins reste-t-il possible d'en traiter le plus grand nombre en adaptant la proposition faite par l'Assemblée nationale.

 

CSNP : pourquoi un tel acharnement ?

Il y a un an de cela, l'Avicca s'était émue que le projet de loi Simplification déposé par le Gouvernement au Sénat comporte une proposition visant à supprimer la Commission supérieure du numérique et des postes. Les Sénateurs n'avaient heureusement pas entériné cette suppression, qui revient toutefois à nouveau sur le pupitre des députés.

S'il est toujours aussi difficile de comprendre en quoi cette suppression entraînerait une quelconque simplification (bien au contraire écrivions-nous il y a un an), il convient de tordre également le cou à une idée reçue régulièrement mise en avant, à savoir le coût de la CSNP. Le budget de fonctionnement de la CSNP en 2024 était de 27 000 €. Alors certes, il n'y a peut-être pas de petites économies, mais au regard de l'utilité de la CSNP pour l'aménagement numérique du territoire, il ne semble pas très pertinent d'aborder la suppression sous cet angle.