Numérique / Territoires

Tous pour le très haut débit, le très haut débit pour tous Novembre 2009

A l'occasion de l'accueil du Ministre de l'aménagement du territoire et de l'espace rural au colloque "Territoires et réseaux d'initiative publique", Yves Rome, Président de l'Avicca, a préconisé un partenariat fort entre les collectivités et l'Etat pour généraliser le très haut débit.

" Monsieur le Ministre,

Le débat sur le très haut débit a connu une forte accélération ces deux dernières années, et ce au niveau mondial. On ne se demande plus s’il faut y aller, mais comment et à quelle vitesse. La crise financière elle-même nous amène à réfléchir sur des fondamentaux de l’économie, et les réseaux de communications en font assurément partie.

Le rapport de la Banque mondiale a montré un lien direct entre l’extension du haut débit et le développement. Il peut facilement s’extrapoler au très haut débit. Ce développement, humain et économique, nous, responsables de collectivités, le voulons pour l’ensemble de nos territoires, et pas seulement sur les zones de déploiement rentable pour les opérateurs privés, au rythme de leurs décisions et contraintes d’investissements.

Je sais l’importance que vous attachez à ces questions en tant que Président du Conseil général du Rhône. Nous connaissons votre réseau câblé départemental, qui passe au très haut débit, et qui sans doute évoluera encore.

Nous avons salué, il y a une dizaine de jours, votre initiative, en tant que Ministre, pour que le dossier proposé pour le Grand emprunt, au titre de l’aménagement du territoire et de l’espace rural, soit celui du très haut débit.

Vous avez demandé un milliard d’euros sur ce fonds, qui est très convoité compte tenu de la dette de l’Etat. Un milliard d’euros, voilà qui permettrait d’amorcer une logique de péréquation territoriale. Nous souhaitons ardemment que vous soyez entendu - et même davantage si possible. Il nous paraît surtout important de savoir comment pérenniser un financement pour généraliser le très haut débit. L’étude menée par les associations de collectivités a montré qu’il serait nécessaire de dégager dix milliards d’euros de subventions et de bonifier des emprunts se montant à une trentaine de milliards pour mener à bien cette mutation indispensable.

Beaucoup de collectivités sont prêtes à se mobiliser. Mais en toile de fond se posent deux questions très actuelles. Tout d’abord : quelles seront demain les compétences des départements et des régions ? Un réseau de communications électroniques répond à des besoins d’entreprises, de services publics de tous ordres, et du grand public ; ces besoins, il ne faut pas les saucissonner, mais les agréger pour y donner une réponse technico-économique globale. En l’absence de compétence générale, est-ce que les départements et régions pourront encore agir demain dans ce domaine ? Question toute aussi lourde : quels seront les moyens financiers et l’autonomie fiscale des collectivités après la suppression de la taxe professionnelle ? Ne devrons-nous pas nous recentrer sur les compétences obligatoires ? Ce sont là des sujets débattus au Parlement, que nous ne traiterons pas directement dans ces deux jours, mais soyez assuré, Monsieur le Ministre, qu’elles sont présentes à l’esprit de tous les participants à notre colloque.

La Loi de Modernisation de l’Economie impose de fibrer les constructions neuves, à partir de 2010/2011, partout en France. Il faut voir maintenant qui va amener la fibre au pied de ces constructions, partout en France. Le déploiement de la fibre optique, grâce à une dynamique de concurrence par les infrastructures entre opérateurs privés va en effet se limiter à 4 ou 5 millions de prises sur la fameuse « zone 1 ».

Un scénario à l’étude consiste à pousser la mutualisation entre acteurs privés à travers un consortium, afin d’étendre la zone « rentable », dite quelquefois « zone 2 » sans subvention publique, pour couvrir quelques millions de prises supplémentaires. Participations au capital ou emprunts bonifiés sont censés pousser les opérateurs à s’entendre. Car l’obstacle que doivent vaincre les scénaristes, c’est que les opérateurs ont des intérêts parfaitement contradictoires, entre ceux qui ont déjà un réseau en cuivre qu’ils ne souhaitent pas dévaloriser (Numericable et France Télécom) et ceux qui voudraient devenir co-propriétaires d’un réseau en fibres pour ne plus louer les réseaux des premiers. Alors, si un accord est trouvé, ne sera-ce pas un accord de dupes, sans création d’une réelle dynamique ? Et si cela marchait, n’aggraverait-on pas le sort de la « zone 3 », en se privant d’une possibilité de péréquation avec la « zone 2 » ? Dans chacune de nos villes, de nos départements, de nos régions, nous avons des zones plus ou moins rentables. Mais nous n’avons pas de citoyens de troisième zone.

Pour ne prendre qu’un exemple, chiffré, très concret, dans les Hauts de Seine la subvention qui permet de couvrir la totalité du département n’est que de 59 millions d’euros, parce que 25 millions d’excédents sont dégagés des zones rentables. 40 % d’écart, ce n’est pas mince en ces temps difficiles.

La démarche que nous privilégions, c’est une action concertée de l’Etat et des collectivités pour construire des réseaux ouverts aux opérateurs. Aux collectivités d’assurer la maîtrise d’ouvrage, en articulant les différents niveaux de collectivités, et en profitant des travaux qu’elles lancent dans tous les domaines, électricité, assainissement, rénovation urbaine, etc. Et à l’Etat reviennent de lourdes tâches :

  • attribuer les fréquences du dividende numérique de façon à couvrir les territoires les moins denses, dès 2015, en technologies hertziennes pour attendre la fibre, comme l’ont demandé l’AMF, l’ADF, l ‘ARF et l’AVICCA ;
  • assurer la péréquation financière entre les territoires, qui ont des caractéristiques démographiques et géographiques très différentes, grâce à un fonds d’aménagement numérique conséquent, que le grand emprunt pourrait amorcer ;
  • assurer la cohérence de l’ensemble, par des actes de régulation et de normalisation élaborés en concertation, pour permettre d’industrialiser la construction et l’exploitation.

Cette mutation vers le très haut débit nécessitera de grands arbitrages. Une grande question est celle la « montée en débits » par un fibrage jusqu’aux sous-répartiteurs. Où est-ce utile en attendant la fibre ? Comment faire pour ne pas favoriser un opérateur au détriment des autres ? Jusqu’où les technologies hertziennes seront pertinentes en alternative au fixe ? Plus lourd encore, le passage à la fibre pose, plus ou moins brutalement, la question de la séparation structurelle de l’opérateur historique. Les décisions à prendre nous impactent, mais concernent aussi les opérateurs, les équipementiers, les gestionnaires d’immeubles, les consommateurs. Notre demande, Monsieur le Ministre, c’est que le débat soit public. L’Avicca propose que l’Etat organise des Etats généraux du très haut débit. Les Japonais se sont livrés à cet exercice il y a dix ans. Ils ont établi un projet, et l’ont actualisé chaque année. Voyez le chemin qu’ils ont parcouru.

La concertation, je le souligne au passage, nous la demandons également pour l’extinction de l’analogique et la couverture numérique de la télévision. Nous avons tiré la sonnette d’alarme en janvier dernier. Les élus redoutent d’être une nouvelle fois en première ligne, pour financer des émetteurs supplémentaires si la couverture est moins bonne qu’en analogique ou si les aides individuelles pour le passage au satellite sont insuffisantes.

Je ne voudrais pas oublier non plus le haut débit, qui n’est pas encore une réalité pour tous. Nous avons demandé le démultiplexage des lignes de l’opérateur historique, qui représente jusqu’à la moitié des lignes blanches dans certains départements. Le gouvernement va lancer le label « haut débit pour tous », via le satellite. Est-ce que nos concitoyens de la Réunion, de la Martinique, de la Guadeloupe, de la Guyane et des autres territoires ultra-marins en bénéficieront, ou bien est ce que le « pour tous » ne les concerne pas ? Et quand seront publiés les arrêtés nous permettant de connaître les zones de services et les réseaux, principe voté dans la LME il y a 16 mois ?

Pour revenir au très haut débit, l’AMF, l’ADF, l’ARF et l’AVICCA ont demandé que la fibre soit généralisée en dix ans. C’est une position volontariste et réaliste, et les collectivités ont montré leur capacité à s’engager dans la phase précédente, avec les réseaux ouverts d’initiative publique : 2,9 milliards d’investissements publics et privés – dont 2,4 portés par les régions et les départements, pour reprendre la question de leurs futures compétences. Le cap des 3 milliards sera franchi avant la fin de l’année. Une grande partie des investissements engagés concerne le très haut débit : 35 000 km de collecte, 3 700 zones d’activités, 12 000 services publics, plus de 1 200 000 prises à construire en FTTH, sans compter la modernisation des réseaux câblés d’initiative publique.

L’Arcep, à la demande du Parlement, a tiré un premier bilan de cette action des collectivités. Il est tout à fait positif. Et pourtant, faut-il le rappeler, le droit à agir dans ce domaine a été conquis de haute lutte. Je remercie chaleureusement tous ceux, ici présents, qui ont participé à cette bataille. L’Avicca tire aussi des leçons de cette expérience :

  • nous devons agir le plus en amont possible, de façon structurante, et non en aval, de façon correctrice ;
  • il faut mobiliser tous les échelons de collectivités, et éviter l’émiettement ;
  • l’Etat doit corriger les inégalités territoriales, car tout le monde n’a pas eu la possibilité d’agir au même niveau.

Monsieur le Ministre, vous avez dans cette salle un très grand nombre des acteurs de cette transformation. Ils ont innové, pris des risques, affronté des lobbies. Ils ont réussi à convaincre, à fédérer, à dégager des financements, à trouver des partenaires privés qui ont amené eux aussi leur savoir-faire. Nous souhaitons un grand débat avec les acteurs concernés. Nous ne voulons pas d’écrémage de nos territoires. Nous ne demandons qu’à amplifier l’action engagée, dans un environnement national favorable et à la hauteur de ce nouvel enjeu : tous pour le très haut débit, le très haut débit pour tous."

Dans sa réponse, Michel Mercier a cherché à rassurer les collectivités, tant sur les compétences que sur les financements. Il a adhéré au principe exposé de la complémentarité d'une action des collectivités et de l'Etat et souhaité que l'Avicca continue à jouer son rôle d'aiguillon dans le secteur.

(Colloque "Territoires et réseaux d'initiative publique", 16 novembre 2009 )