Numérique / Territoires

TRIP de printemps 2019 : discours d'ouverture de Patrick Chaize, président de l'Avicca Mai 2019

(Seul le prononcé fait foi)

Mesdames, Messieurs les parlementaires,
Mesdames, Messieurs les élu(e)s,
Mesdames et Messieurs,

Vous tous à qui l’on doit la transformation numérique progressive de notre pays, de ses entreprises, de ses services publics.

Je constate avec plaisir que le thème des territoires et des réseaux d’initiative publique mobilise toujours aussi largement les participants et les intervenants. Nous avons dû, pour la première fois, refuser des inscriptions car nous avons atteint la limite de 650 inscrits autorisée par l’Institut Pasteur. Nous jouons à guichet fermé : cela me réjouit, mais il y en a d'autres qui me désolent... Cela ne manque pas de m’interroger d’ailleurs sur l’organisation des prochains TRIP. Cette affluence record est bien évidemment à relier directement au rôle majeur joué par l’Avicca dans le domaine de l’aménagement numérique. Elle est également liée au programme de notre colloque qui, comme l’actualité, est chargé et ponctué de temps forts :

  • votre intervention, Monsieur le Ministre,
  • le premier observatoire commun du Très haut débit avec InfraNum, le CGET et la Banque des Territoires,
  • les interventions de Stéphane Richard et de Sébastien Soriano,
  • et bien sûr les tables rondes qui permettent de confronter les points de vue et d’avancer, car nous sommes encore loin du but pour le Très haut débit, et de nouveaux défis sont posés pour l’aménagement du territoire, que ce soit la 5G, l’Internet des objets, la maîtrise des données et la maîtrise de la souveraineté numérique.

Nous dévoilerons des chiffres au cours de ces deux jours, qui montreront la pertinence de l’initiative publique pour des sujets aussi différents que le marché des entreprises ou le numérique éducatif, même si elle se conjugue bien entendu avec l’initiative privée, ou plutôt, avec les initiatives privées, qui ne sont pas toutes équivalentes. Mais je ne vais pas les "divulgâcher" ici, comme l’on dit maintenant. Vous aurez noté que le numérique éducatif sera très présent durant ces deux journées, en plénière ou en atelier, car nous devons échanger et progresser collectivement aussi sur les usages, et celui-ci est particulièrement structurant.

Dans quel état d’esprit sont les collectivités aujourd’hui ? D’abord, elles sont au travail, elles agissent, elles déploient, elles expérimentent. Elles sont extrêmement vigilantes et mobilisées, et bien sûr l'Avicca avec elles.

Un mot tout d’abord sur la 5G. J’ai bien lu la lettre de cadrage récemment publiée, qui évoque bien sûr l’aménagement du territoire. Cependant, j'ai vu aussi que le critère prix devra être le critère substantiel de l’attribution de ces premières fréquences. C’est certes légitime s’agissant d’une ressource rare, mais nous le savons tous ici, c’est une arme à double tranchant, qui peut rapidement relativiser les autres critères sur lesquels nous nous accordons. Nous continuerons donc de regarder de très près ce dossier et ferons tout pour qu’il reste le plus possible dans la lignée du New Deal 4G, afin que nous n’ayons pas besoin de lancer dans 10 ans un new New Deal pour la 5G.

La vigilance, c’est aussi sur la question tarifaire des réseaux FttH, afin que le co-investissement prenne en compte la spécificité des coûts des réseaux ruraux en ce qui concerne le renouvellement des droits d’usage. Ces réseaux sont un bien commun. Les collectivités, accompagnées au départ par l’État, ont pris à leur charge les surcoûts de construction. Ce bien commun ne doit en aucun cas devenir un perpétuel fardeau commun. Nous serons particulièrement attentifs aux propos de l’Arcep à ce sujet demain.

Je vais centrer mon propos sur la question-clef de cette année 2019 : comment accélérer pour achever la couverture du territoire en FttH de tous nos concitoyens ?

En novembre 2012, la ministre Fleur Pellerin lançait la concertation avec tous – à commencer par les collectivités – pour établir une nouvelle feuille de route. Trois mois après, le Plan France THD voyait le jour et, dès le mois de mai 2013, l’Etat validait les premiers dossiers : l'Auvergne, la Mayenne et Saint-Pierre-et-Miquelon.

En décembre 2017, l’Etat lançait, après concertation avec les seuls opérateurs, sans associer les collectivités, un nouveau dispositif : l’AMEL. Il faudra 18 mois pour que le gouvernement accepte les 3 premiers dossiers, et encore, nous n'avons pas vu la couleur d’un arrêté en ce sens.

Comment parler dans ce contexte d’accélération ? Même la presse étrangère se fait l’écho de la lenteur autour des AMEL, avec un article de TELECOM TV qui qualifie le rythme de slooooooow (avec 7 « o ») et qui est illustré par une photo d’escargot ; tout un symbole...

Cette lenteur, soit dit au passage, ne rend que plus flagrante la nécessité de mettre en œuvre rapidement et efficacement des technologies intermédiaires, au premier rang desquelles le THD radio et le maintien du guichet afférent par l’Arcep.

Et s’agissant d’un autre guichet, celui du Plan France THD, il s’agit de le rouvrir sans plus tarder. Monsieur le Ministre, j’ai une bonne nouvelle : nous avons calculé avec InfraNum de manière objective le montant nécessaire côté réabondement de ce guichet, et il semble devoir être bien inférieur à la fourchette de 1,3 à 1,5 milliard d’euros annoncée par le ministre Jacques Mézard en juillet 2017. Ces chiffres vous seront bientôt dévoilés par InfraNum. Ceci est basé sur des faits : les 10 dernières attributions de RIP permettront de construire 2,4 millions de prises en mobilisant 3,4 milliards d’euros de financements privés pour seulement si j’ose dire 364 millions d’euros de subventions publiques, soit près de 10 euros de fonds privés pour 1 euro de fonds publics. Le tout en permettant aux réseaux ainsi construits, de surcroît, d’être propriété de la puissance publique. Au vu des difficultés que connaît le réseau cuivre en zone rurale, ce n’est pas une considération anodine.

De même s’agissant des DSP d’affermage, je note de réels progrès. La Bretagne a ainsi réussi, et je l’en félicite, à revoir à la fois son contrat d’affermage pour l’aligner au plus proche des conditions de marché actuelles d’une part, et à obtenir un coût de construction fortement revu à la baisse. Même chose avec la Régie Auvergne Numérique qui, avec l’appui du Conseil régional Auvergne - Rhône-Alpes, a prouvé qu’il était possible de renégocier en profondeur des contrats au bénéfice des collectivités.

Sur le fond, le gouvernement n’aide nullement à la conclusion d’AMEL en maintenant fermé ce guichet. Le report permanent de la clôture des AMEL n’incite pas les opérateurs à consolider leurs offres, dont certaines restent insatisfaisantes aux yeux des territoires concernés comme à ceux du régulateur. Plusieurs dossiers d’AMEL sont bloqués parce que les opérateurs, sachant que les collectivités n’ont pas le choix, jouent la montre, attendant que l’Etat finisse par céder. A contrario, l’annonce de la réouverture du guichet serait de facto perçue comme une menace claire pour les opérateurs, attendu que les collectivités pourraient lancer un RIP si elles n’obtiennent pas satisfaction.

Au regard de ces derniers éléments, la réouverture du guichet n’est plus une question de montant à définir, mais bien une question de volonté. Cette volonté, je vous la reconnais tout à fait, mais j’entends qu’il subsiste des résistances fortes au sein de certains ministères. Cela a déjà dû être le cas pour le New Deal mobile, mais vous avez réussi le tour de force de mobiliser en l’espace de 4 mois 3 milliards d'euros d’aides à l’investissement pour des opérateurs privés, je ne vois donc pas ce qui bloque le gouvernement pour libérer quelques centaines de millions d’euros, cette fois pour les collectivités. Les collectivités locales sont toutes à vos côtés Monsieur le Ministre, s’agissant de ce point essentiel.

A l’heure où le sentiment de déclassement se fait entendre dans les territoires ruraux, ne pas faire ce geste pour les collectivités locales alors qu’il a été fait rapidement et massivement pour les opérateurs privés donnera raison aux détracteurs du gouvernement sur ce sujet emblématique du numérique.

Accélérer, c’est possible. Pour cela, il faut redynamiser le jeu d’acteurs et rouvrir le guichet trop longtemps suspendu.

J’apprécie votre volonté, Monsieur le Ministre, je sais votre pugnacité. Nous sommes et serons à vos côtés. Faisons en sorte qu’ensemble, nous réussissions ce plan France Très haut débit. C’est l’engagement que je tiens au nom de l’Avicca et en mon nom personnel. Je vous remercie.