Numérique / Territoires

Pour éviter un duopole Vivendi/Orange Janvier 2010

La stratégie d'intégration verticale de France Télécom, entre contenus et fourniture d'accès à internet, est à nouveau remise en question dans un rapport remis au Premier ministre. Mais la situation dominante de Vivendi sur la distribution de la télévision payante est aussi évoquée. Aussi pourrait-on aller vers de nouvelles formes de régulations, afin de redistribuer les cartes, plutôt que de favoriser, comme actuellement, les stratégies "en silo". Il s'agirait d'éviter, sur l'audiovisuel payant et les communications électroniques, de constituer un véritable duopole Vivendi/Orange.

Le rapport se penche en effet aussi bien sur le "marché de l'acquisition des droits audiovisuels" (droits sur le sport, les séries, le cinéma... pour éditer des chaînes qui agrègent ces contenus), le "marché de gros de la télévision payante" (accès des chaînes aux distributeurs de services qui les commercialisent en bouquets auprès des abonnés) et le "marché de détail de la télévision payante" (vente aux particuliers par les distributeurs comme Numericable, les fournisseurs d'accès à internet ou Canal+). Et sur ces trois marchés, Canal+ est dominant...

De son côté, la stratégie de France Télécom vise à conforter sa position dominante sur l'accès à internet (gros plus détail), par la mise en place d'exclusivités sur les contenus (de l'achat de droits pour éditer des chaînes au transport de ces chaînes). Cela lui permet de justifier des tarifs plus élevés que ses concurrents.

En juillet 2009, l’Autorité de la concurrence avait estimé "qu’une plus grande ouverture du marché de gros de la télévision payante était souhaitable, mais que l’exclusivité de transport et d’accès aux contenus audiovisuels que pratique Orange ne constituait pas la réponse adéquate à cette situation." Elle souhaitait que le législateur fixe sans tarder "des règles du jeu claires" qui consisteraient :

  • "d’une part, à interdire qu’un fournisseur d’accès à Internet puisse bénéficier d’une exclusivité de transport de services audiovisuels lui permettant d’en réserver l’accès à ses abonnés. Par exception, les services innovants, sur le plan technologique ou commercial, pourraient faire l’objet d’une telle exclusivité pour une durée d’un à deux ans.
  • d’autre part, à assurer, en amont, une véritable régulation ex ante du marché de gros des chaînes de télévision payante, notamment dans le domaine du sport et du cinéma, afin de favoriser la pénétration de nouveaux distributeurs sur ce marché. "

Le rapport écarte en fait l'adoption d'une règle législative qui était préconisée, en lui préférant des mécanismes souples de surveillance et de régulation :

  • l'ARCEP surveillerait les exclusivités de transport et d'accès en vue de préserver la concurrence sur les marchés du haut et du très haut débit ;
  • le CSA régulerait le marché de gros de l'audiovisuel du point de vue concurrentiel ; éventuellement le CSA pourrait aussi intervenir pour assurer, dans une certaine mesure, un "accès aux chaînes" pour les consommateurs.

Le rapport estime que cela signifierait "une sorte de révolution culturelle" pour le CSA, qui serait doté de remèdes équivalents à ceux dont dispose l’ARCEP pour réguler les marchés de gros des communications électroniques (publicité de certaines informations, obligations

comptables...).

Au total, il y aurait donc à la fois un comblement d'un "vide de régulation" entre les deux autorités, et la continuation d'un rapprochement sur les méthodes, sans aller jusqu'à la fusion.

Le gouvernement décidera des suites à donner à ce rapport. En attendant, on peut noter la grande liberté de ton du rapport, en citant quelques extraits où chacun en prend pour son grade :

Sur le double langage : "Ce dernier objectif, affiché par le groupe France Telecom vis‐à‐vis de ses actionnaires, n’est pas clairement assumé par l’entreprise à l’égard des autorités publiques."

Sur les capacités de lobbying et l'indépendance des parlementaires : "L’élaboration d’un projet de loi permettrait au Gouvernement de prendre la main et de se prémunir contre une initiative parlementaire impromptue, le cas échéant inspirée par l’un des acteurs en présence, de la nature de celles qui ont été repoussées lors des discussions sur le projet de loi relatif à la communication audiovisuelle et au nouveau service public de la

télévision (...)".

Sur la culture et les compétences du CSA : "La proximité entre le CSA et les acteurs du secteur peut faire craindre que cette autorité fasse un usage trop modéré de ses pouvoirs ou le fasse dans des conditions biaisées." (...) "Le CSA ne dispose pas d’une expertise technique analogue à celle de l’ARCEP, notamment dans le domaine économique."

Sur les compétences de l'administration : "Quant aux administrations de l’Etat, il serait pour le moins inhabituel de les charger d’un tel rôle et il est probable qu’elles ne seraient pas en mesure de le jouer, comme en témoigne les lacunes du suivi, par la DGCCRF, des constats du mandataire des engagements souscrits à l’occasion de la fusion Canal+ / TPS."